Phénomène totalement associé aux années 90, les raves étaient des soirées underground où les gens, souvent déguisés, dansaient pendant des heures sur de la musique techno. En 1997, la photographe Caroline Hayeur a publié un livre, Rituel festif, qui a brillamment documenté ces années. Que reste-t-il des raves?

La première fois qu'elle a mis les pieds dans un rave, Caroline Hayeur a eu une révélation. À peine sortie de l'université, la jeune assistante photographe, qui rêvait de faire le tour du monde avec son appareil photo, a décidé de le tourner vers ce qui se passait chez elle.

«Ç'a été un appel incroyable, dit-elle. Des éclairages, de la musique, du monde déguisé de toutes les couleurs qui danse, qui saute en bungee, qui crache du feu. Qu'est-ce que tu veux de plus pour une photographe ? Je devais faire quelque chose.»

Avec ses comparses Emmanuel Galland et Nora Ben Saâdoune, elle s'est mise à fréquenter les raves, environ deux week-ends par mois pendant un an, et a fait plus de 800 portraits. 

«On faisait un X avec du tape sur le plancher pour faire le focus parce qu'on ne voyait rien, se souvient-elle. Nora, Emmanuel et mes amis me protégeaient le temps de faire la prise, parce qu'il y avait tellement de monde! Après, on allait mettre le matériel dans mon auto, et on revenait danser jusqu'à 5 ou 6 h du matin.»

Ouverture et communauté

Elle se souvient de la candeur et de la créativité qui régnaient dans ces soirées. «Si tu voulais faire de la vidéo, des projections, du cirque, tu en faisais. Il y avait une grande ouverture, et moins de clivages qu'aujourd'hui.»

«À 3 h 30, tous les clubbeurs débarquaient. C'était très multiethnique, il y avait des rockeurs, des hippies, des gais, des prostituées, des jeunes, des vieux. Et tout le monde dansait ensemble.»

La danse comme performance sportive et comme lieu de rassemblement: c'est vite devenu une des raisons d'être des raves. «À la fin des années 80, les gens ne dansaient plus vraiment, dit Caroline Hayeur. Tu buvais ta bière accoté au bar. Et puis là, avec la démocratisation de la musique électronique, les gens sont revenus à la danse. Ils dansaient pendant quatre, six heures, avec des mouvements répétitifs, dans l'absence de mots. Il y avait quelque chose de la nouvelle spiritualité, de la tribu.»

Caroline Hayeur s'est lancée dans ce projet d'abord guidée par une pulsion de création. Mais si elle savait qu'elle tenait un bon sujet, elle ne pensait pas que sa portée serait aussi grande. Non seulement le livre a beaucoup fait parler de lui, mais l'expo de photos qu'elle avait organisée en parallèle a connu un vif succès, et lui a permis de voyager partout dans le monde.

Pour la photographe qui aura 50 ans dans quelques jours, Rituel festif est directement associé au début de sa carrière artistique. Surtout, elle a trouvé dans l'esprit des raves des sujets qui ont continué à l'intéresser. «Ça m'a donné le goût de faire des projets liés à la danse, au tribal, aux communautés, à la spiritualité.»

Héritage

Rituel festif permet de voir à quel point la faune des raves était colorée et créative - «ça, c'était la Montréal touch!» Le livre, qui explique l'époque dans des textes savants et qui laisse deviner le Montréal électro et multimédia à venir - MUTEK, Moment Factory, Piknic Électronik -, est, avec son design soigné, un artefact précieux des années 90.

«C'est Benno Russel, qui dessinait tous les flyers à l'époque, qui a fait notre couverture, explique Caroline Hayeur. Et l'esthétique du flyer, pour n'importe quel événement, c'était l'esthétique des raves.»

Si l'imagerie semble datée, la musique électro reste le plus grand héritage des années raves. «Si tu écoutes le top 10 d'aujourd'hui, tu comprends tout de suite que ça a influencé la musique populaire d'une manière ou d'une autre», constate Jean-Patrice Rémillard, alias Pheek, qui a été DJ de 2002 à 2010 et qui est maintenant ingénieur de son et musicien.

«La première fois que j'ai entendu Daft Punk à la radio, je n'en revenais pas! Là, ils chantent avec Pharrell Williams, ils se costument encore, ils sont fidèles au mouvement de départ. Et ils sont copiés et recopiés.»

C'est d'abord pour explorer les musiques électroniques que Jean-Patrice Rémillard a commencé à fréquenter les raves, dans la jeune vingtaine. «À la base, c'est la musique qui nous a réunis, raconte-t-il. Au début des années 90, ce qui jouait à la radio ne nous intéressait pas trop, c'était trop pop, trop rock.»

Les années 90 ont été une grande période de démocratisation de la musique, «un grand laboratoire», rappelle-t-il. «De 1990 à 2000, la technologie a beaucoup évolué pour les ingénieurs de son. La musique est devenue de plus en plus partageable et accessible. La première fois que j'ai entendu parler de downloader de la musique, c'est dans les raves.»

Le journaliste et animateur Matthieu Dugal était lui aussi un grand amateur de musique électronique. Les raves étaient pour lui une occasion d'en écouter pendant des heures. «Les raves, c'était l'arrivée de la musique de la marge dans un monde pré-réseaux sociaux, et presque pré-internet», dit-il. 

Vingt ans et quelque plus tard, «les sons électroniques sont omniprésents» dans la musique populaire, constate-t-il.

«La ferveur des raves, c'est une époque, dit l'animateur de La sphère sur ICI Première. Mais ce que cette culture a vraiment réussi à faire, c'est un pont entre des musiques qui n'étaient diffusées nulle part et une génération qui s'est approprié ça par la transgression.»

«À l'époque, on disait qu'on écoutait la musique du futur, dit Jean-Patrice Rémillard. Et aujourd'hui, il y a des jeunes DJ qui cherchent les disques cultes des années 90 pour les faire jouer.»

Photo André Pichette, La Presse

Rituel festif, livre publié en 1997 par la photographe Caroline Hayeur, sur l'univers des raves à Montréal.