Le Musée de la civilisation de Québec et le Musée des beaux-arts de Montréal tendent la main au Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) pour acheter conjointement un tableau du peintre français Jacques-Louis David appartenant à la Fabrique de la paroisse Notre-Dame-de-Québec. Mais le musée national canadien semble pour l'instant vouloir faire cavalier seul...

Alors qu'il termine son mandat dans moins d'un an, le directeur du Musée des beaux-arts du Canada, Marc Mayer, se retrouve au coeur d'une controverse. Ayant investi, depuis son arrivée à Ottawa en 2009, pour que le musée national canadien se dote d'une grande collection d'art français, il avait trouvé opportun d'acheter le tableau Saint Jérôme entendant la trompette du Jugement dernier, peint en 1779 par Jacques-Louis David.

Le MBAC avait en effet reçu, en juillet 2016, une proposition de vente de son propriétaire, la Fabrique de la paroisse Notre-Dame-de-Québec. Marc Mayer aime beaucoup cette grande toile d'environ 1,50 m sur 1 m qui a été exposée au musée qu'il dirige de 1995 à 2013, à la suite d'un prêt du Musée de la civilisation de Québec, dépositaire de l'oeuvre.

Une proposition d'achat du tableau a été déposée par le MBAC le 11 décembre dernier. 

Mais la convention de dépôt signée entre la Fabrique et le Musée de la civilisation de Québec prévoit que ce dernier dispose d'un droit de premier refus en cas d'offre extérieure.

«Nous avons une période de six mois à partir de l'offre du 11 décembre pour y réagir, donc jusqu'au 11 juin, explique Stéphan La Roche, directeur du Musée de la civilisation. Nous savions que le Musée des beaux-arts de Montréal était aussi intéressé par le tableau, qui y est exposé actuellement, d'ailleurs. Avec sa directrice, Nathalie Bondil, nous nous sommes donc dit qu'à deux, nous serions peut-être capables de trouver le financement en faisant une approche innovatrice.»

En février, en entrevue avec La Presse, à Ottawa, Marc Mayer avait dit craindre que le tableau de Jacques-Louis David, «un trésor national», puisse quitter le Canada. Hier, par communiqué de presse, M. Mayer a évoqué le fait qu'il avait appris, l'an dernier, qu'un musée étranger était prêt à acheter le David.

Pour Stéphan La Roche, le risque de départ du Saint Jérôme vers d'autres cieux est «limité» à cause du droit de préemption du Musée de la civilisation. «Et le curé de la paroisse de Notre-Dame-de-Québec a déjà déclaré qu'il souhaitait que l'oeuvre reste au Canada», ajoute M. La Roche.

Pas de contacts

Le directeur du Musée de la civilisation a dit à La Presse, hier, qu'il trouvait «dommage» que Marc Mayer n'ait pas cherché à lui parler, ainsi qu'à Nathalie Bondil, pour voir si un achat à plusieurs était envisageable.

«La porte est toujours ouverte de notre côté pour une acquisition à trois ou même à plus que trois.»

«Il y a quelques années, le Louvre et le Rijksmuseum d'Amsterdam ont acheté ensemble des Rembrandt, poursuit-il. Ils ne sont même pas dans le même pays et ils échangent la garde de ces tableaux. Alors, entre institutions d'un même pays qui ont toutes la vocation de bien préserver le patrimoine collectif, il me semble que c'est quelque chose qui pourrait s'envisager ici.»

Avec son budget d'acquisition de 8 millions par an et la vente prochaine d'une toile de Marc Chagall, La tour Eiffel, qui vaut tout autant, le Musée des beaux-arts du Canada peut acheter le Saint Jérôme seul. Et le fera-t-il s'il tient à valoriser sa propre collection d'art français? Le directeur du MBAC n'était pas disponible, hier, pour répondre à nos questions.

Stéphan La Roche espère, en tout cas, que le MBAC répondra à la main tendue par les deux musées québécois. «J'ose croire qu'à titre de gestionnaire d'une institution publique, la sagesse saura les illuminer», lâche-t-il.

Le Chagall sera vendu

Hier, dans son communiqué, le MBAC a précisé que la vente de la toile de Chagall, à New York le 15 mai, serait maintenue, quelle que soit l'issue de la tentative d'acheter le Saint Jérôme.

«La vente de La tour Eiffel se poursuivra selon le rigoureux processus d'aliénation en vigueur, lit-on dans le communiqué. Les produits de cette vente pourront être utilisés pour enrichir la collection nationale et, plus particulièrement, pour que le Canada puisse se donner les moyens de conserver son patrimoine en empêchant l'exportation d'oeuvres majeures hors du pays, défi auquel il sera sûrement à nouveau confronté.»

Le directeur du Musée de la civilisation de Québec regrette que le MBAC se soit résolu à vendre un important tableau d'art français dans le but d'en acquérir un autre. «En ce qui me concerne, et je pense que c'est la même chose pour Nathalie Bondil, nous ne mettrons pas en vente des tableaux pour financer l'achat du David, si important soit-il, dit Stéphan La Roche. Ce n'est pas notre façon de concevoir notre travail de conservation et de préservation du patrimoine.»

Image fournie par le MBAC

La tour Eiffel, 1929, Marc Chagall (1887-1985), huile sur toile, 100 cm x 81,5 cm