L'ambivalence de l'homme moderne par rapport au monde animal, notamment la domestication et l'asservissement des animaux, est un sujet qui touche particulièrement Karine Payette. L'artiste montréalaise l'aborde de nouveau chez Circa, cette fois-ci de manière plus conceptuelle mais avec autant d'éloquence.

«Les visiteurs parcourent le zoo en regardant les animaux. Ils vont de cage en cage, non sans rappeler les visiteurs d'une galerie d'art, s'arrêtant devant chaque tableau avant de passer au suivant, puis au suivant encore. Sauf qu'au zoo, la vision est toujours faussée. Comme une photo mal mise au point.»

Dans un texte d'introduction à l'exposition de Karine Payette, l'historienne de l'art Julia Roberge Van Der Donckt cite le critique d'art et romancier britannique John Berger (Why Look at Animals?, 1980). Ceci pour illustrer l'idée de l'artiste de 34 ans sous-jacente à la création de son installation À perpétuité, qui occupe une des deux galeries de Circa. 

«J'ai eu l'idée de ce corpus à Berlin où j'ai filmé un éléphant qui faisait, toute la journée, une espèce de mouvement avec ses pattes, sur place, comme s'il était attaché à une chaîne, dit Karine Payette. De voir les visiteurs tout contents de regarder ça, c'était comme un malaise et ça a alimenté ma nouvelle recherche.» 

À perpétuité est une installation cinétique qui ressemble aux aquariums domestiques où l'on met des petits poissons ou des tortues d'eau qu'on regarde nager dans leur environnement limité. Tournant en rond, comme les lions des zoos, avec leurs allers-retours incessants qui donnent l'impression d'animaux aliénés ayant perdu la notion du temps, de la chasse et de l'espace.

Où sont les poissons?

L'installation conceptuelle de Karine Payette est constituée de trois aquariums de verre remplis d'une eau trouble de couleur lagon bleu. Premier réflexe: l'opacité de l'eau force à chercher ce qu'elle cache. Où sont les poissons? Comme quand, au zoo ou au Biodôme, on écarquille les yeux pour repérer l'animal dont le nom scientifique est inscrit sur un écriteau.

On découvre finalement que dans chaque aquarium, une forme sombre (en fait, des poils de martre) apparaît, toutes les huit secondes, dans un mouvement circulaire, avant de disparaître puis de réapparaître.

Dégageant une atmosphère d'étrangeté, À perpétuité joue sur l'équilibre confort-inconfort qui caractérise l'oeuvre de Karine Payette. 

Dans ses corpus précédents (notamment De part et d'autre, présenté en 2016 chez Art Mûr), elle plaçait l'animal directement sous nos yeux, avec ses sculptures en silicone et fourrure, par exemple. Cette fois-ci, elle opte pour un minimalisme esthétique et évocateur pour parler du vivant, concentrant son propos sur l'habitat, comme elle l'a fait pour sa recherche de maîtrise à l'UQAM.

Photo Alain Roberge, La Presse

Vue de l'exposition de Shanie Tomassini, Les propriétés mathématiques d'un beigne, présentée chez Circa jusqu'au 28 avril.

Karine Payette est aussi passée d'un objet d'art fixe à une installation en mouvement, ce qui a nécessité beaucoup de travail. Elle dit souhaiter poursuivre cet axe de développement pour une exposition plus nourrie en 2019. On a hâte.

Shanie Tomassini

En parallèle à Karine Payette, Circa expose des créations de Shanie Tomassini, artiste émergente douée qui évoque l'art pariétal avec des oeuvres en apparence simplistes. En apparence seulement, car son exposition Les propriétés mathématiques d'un beigne est un exercice intellectuel. Elle peut faire sourire (grand beigne traversant le plancher au milieu de la galerie, beigne incrusté dans le mur), réfléchir, susciter l'incompréhension ou laisser de glace.

Dérivant de la topologie, telle que décrite par les physiciens nobélisés en 2016 David J. Thouless, Duncan Haldane et John Michael Kosterlitz, la démarche de Shanie Tomassini suggère de regarder les choses avec l'idée qu'elles peuvent être autres. Pourquoi pas? Mais cette présentation plutôt opaque a tendance à éclipser le savoir-faire de l'artiste.

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Chez Circa (372, rue Sainte-Catherine Ouest, local 444) jusqu'au 28 avril

Consultez le site de Circacirca-art.com

Photo Alain Roberge, La Presse

Une des oeuvres du corpus de Shanie Tomassini intitulé Les propriétés mathématiques d'un beigne, présenté chez Circa jusqu'au 28 avril.