Le centre d'art montréalais 1700 La Poste honore ce printemps la Néerlandaise Elly Strik, qui présente ses oeuvres pour la première fois en Amérique. Imprégnée par des influences du passé, l'artiste contemporaine explore le monde des rêves, la condition humaine, les rites ou encore la féminité.

Elly Strik n'est pas une inconnue en Europe. Née aux Pays-Bas en 1961, elle a déjà exposé au MuHKA d'Anvers en 1999, lors de la Biennale de Lyon de 2011 et au Museo Reina Sofía, à Madrid, en 2014. Également professeure, elle greffe l'art plastique à une poésie extatique avec un style rappelant la peinture classique, à la fois exalté et fignolé. 

L'exposition To All The Long Gone Darlings. And To You est un déploiement sur trois étages d'oeuvres au graphite, à la laque, à l'huile et au crayon de couleur sur papier. La scénographie inédite a été réalisée par l'artiste avec l'équipe du centre d'art et grâce à la générosité de sa directrice générale, la mécène Isabelle de Mévius. 

Le rez-de-chaussée a été configuré selon la volonté d'Elly Strik pour y prolonger l'architecture extérieure de l'ancienne poste, en mimant ses colonnes ioniques en calcaire. Le visiteur slalome ainsi dans les dédales d'une installation artistique inspirée par Van Gogh, Edvard Munch, Marcel Duchamp, Charles Darwin, le féminisme, le rituel et l'onirisme. Un parcours conçu comme une introspection, «pour atteindre les parties les plus refoulées de l'âme humaine», commente Mme de Mévius dans l'essai Les images de rêves et le féminin, écrit pour la circonstance. 

Dès l'entrée, Elly Strik invite à une réflexion sur la théorie de l'évolution avec la série de dessins A Window for Darwin II, qui comprend des portraits difformes du naturaliste anglais. 

Une évocation peu lisible de celui qui a révolutionné la biologie, représenté sans yeux et avec une barbe démesurée. La pilosité envahissante se retrouve d'ailleurs dans bien des dessins d'Elly Strik tel un rappel de nos origines simiesques. 

Nous avons préféré la Chambre des rêves, un espace central de l'expo où Elly Strik a accroché une trentaine d'oeuvres dans une atmosphère adoucie par un plafond à la lumière tamisée. Un espace qui rend hommage à Freud, avec un portrait réalisé en reproduisant plusieurs profils du médecin autrichien pour soutenir sa personnalité complexe. Un portrait placé près de celui de Jérôme de Stridon (347-420), le traducteur de la Bible étant ainsi confronté au chercheur profane. 

Elly Strik présente également son Sofa de Freud, une huile, laque et craie à la facture impressionniste, avec un divan surmonté par des états d'âme exprimés par de vastes aplats. Une référence aux éclairs de la conscience, aux inclinations, aux pulsions et aux créations de l'esprit. 

Hommage à Ammann

Dans la même pièce, l'artiste établie à Bruxelles rend hommage à un homme qu'elle respectait beaucoup, le commissaire et directeur de musées Jean-Christophe Ammann, qui lui a permis d'exposer à la foire annuelle KunstRAI, à Amsterdam, à l'âge de 26 ans. Une dédicace en cinq tableaux révélant l'historien d'art suisse mort en 2015: sa vision, ses réalisations, ses connaissances, son goût pour le questionnement, la Renaissance et la révélation de l'art. Et pour l'écoute, aussi, avec cette immense oreille tendue vers l'autre. 

Sur le même étage, Ophelia attire l'oeil. Sorte d'autoportrait étrange d'Elly Strik, au visage écarlate et aux cheveux dressés, sans expression, sans regard, une exploration tout en intériorité, mais sans défiguration. Ce qui n'est pas le cas de la toile El Espejo Magico (le miroir magique), un portrait coupé en deux parties, l'une sombre, l'autre argentée. Une impression dérangeante qui révèle les réflexions de l'artiste sur ses tourments et la condition humaine.

L'atmosphère est moins lourde sur la mezzanine, où le grand tableau Reina, the Great Invitation suggère l'universel féminin avec une femme au port fort et serein. Tout près, Quantum Totem frappe l'esprit. L'oeuvre, époustouflante, est construite avec une infinité de petits gestes semi-circulaires au crayon de couleur blanc sur des fonds bleu et rose. Une empreinte ornementale qui semble confronter l'humanité à son inconcevable solitude céleste.

Au sous-sol, Elly Strik poursuit sur sa lancée intellectuelle avec When I Was You, sorte de petite chapelle où un «autel» expose deux petites figurines en bois, un homme et une femme, encadrant un dessin complexe où elles sont reproduites. Un environnement spirituel inondé d'une lumière safranée comme celle des robes bouddhiques. Une construction qui met en équation le monumental et le minuscule. Un formalisme séduisant jumelé à une quête de sagesse et à cette inaccessible extase qui semble hanter l'artiste néerlandaise. 

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Elly Strik au centre d'art 1700 La Poste (1700, rue Notre-Dame Ouest, Montréal), du 23 mars au 24 juin (du mercredi au dimanche, de 11 h à 18 h).