La photographie argentique est à l'honneur au musée McCord avec Avant le numérique, une exposition consacrée aux 12 dernières années de production du photographe québécois de renommée internationale Michel Campeau. Une mise en scène réussie qui associe les clichés du maître de la lentille à des reproductions de photographies vernaculaires de sa collection.

Ce sont en quelque sorte l'art et l'humanité de Michel Campeau qui sont déclinés dans huit beaux espaces du musée McCord jusqu'au 6 mai. On y découvre (ou redécouvre) des photos qu'il a prises entre 2005 et 2017 ainsi que celles qu'il a achetées sur l'internet pour les mettre en perspective avec son travail.

Du coup, avec 90 impressions couleur et tirages argentiques, l'expo Avant le numérique est un regard sur la démarche d'un artiste subjugué tant par la création que par la préservation. En même temps, ce premier solo muséal de Michel Campeau à Montréal a le parfum d'un hommage rendu à la photographie amateur d'antan, ce qui est, ma foi, de bon ton en cette ère d'égoportraits obsessionnels.

CHAMBRES NOIRES

Les connaisseurs renoueront avec plaisir avec sa série de photos de chambres noires (dans une salle éclairée évidemment avec des lampes rouges inactiniques) et ses oeuvres plus conceptuelles comme Variations chromatiques inactiniques II, de 2008-2011, ou encore Autographs, No 2307, de 2014. 

De l'artiste, qui fête ses 70 ans cette année, on retrouve son goût pour l'introspection et les archives, la technique et l'équipement et, bien sûr, la documentation photographique. 

Dans une salle, Michel Campeau et la commissaire Hélène Samson, conservatrice de la collection photo du musée, ont disposé des clichés de grand format tirés de diapos 35 mm que l'artiste a acquises sur eBay, à un prix allant de 10 à 50 $. Une façon pour lui de se connecter à des photographes anonymes qui ont fait le portrait d'amis ou de membres de leur famille qui, pour les uns, tiennent un appareil photo, pour une autre, actionne un projecteur de diapos, et pour d'autres posent pour la postérité, appareil suspendu au cou. 

COLLECTIONNER

L'appareil photo est pour Michel Campeau un objet de collection, de création, de célébration autant que de fascination. Dans cette « optique », il expose sept photos d'objets de la collection Bruce Anderson, des appareils photo rares comme le Mercury II de 1947 et le Sinclair Traveller Una de 1927. 

Il rend ensuite hommage à Robert Frank (qui l'a beaucoup influencé) et à sa photo instantanée des années 50, en exposant d'autres photos trouvées sur l'internet. Un regard anthropologique de la culture américaine avec des scènes de rue telles que de jeunes femmes déguisées en lapins pour Pâques, des enfants dans la voiture flamboyante de leur mère, une dame afro-américaine debout près d'une maison, ou encore un musicien noir jouant entouré par la foule.

Enfin, Michel Campeau s'étant procuré une partie des archives photo du scientifique américain Rudolph Edse (1913-1998), grand photographe amateur de l'après-Seconde Guerre mondiale, dont il expose une sélection. Des photos de la famille d'Edse réunie dans sa demeure, des portraits et des autoportraits qui sont également rassemblés dans une nouvelle publication de Michel Campeau intitulée Rudolph Edse : une autobiographie involontaire.

Ces images de Rudolph Edse démontrent aussi combien la photographie contribue à créer des liens affectifs entre les humains. 

« La photographie a toujours eu un lien insécable avec l'amitié et les rencontres. Un des premiers gestes fondateurs que j'ai posés dans mon travail artistique, empreint d'instinct, aura été de collectionner les albums de famille quand, dans les années 60, on redécouvrait la culture populaire. » 

- Michel Campeau

L'exposition Avant le numérique embrasse ainsi à la fois une époque et des technologies révolues et la passion de collectionner qui habite Michel Campeau depuis toujours. 

« J'ai eu le flair, à l'époque du Groupe d'action photographique, de photographier l'ordinairement vécu. Déjà, jeune, j'inventais des fictions. Alors tout est arrivé, de fil en aiguille. Et puis, je me suis mis à rompre avec la prise de vue photographique. Mais la collection a fait réapparaître la figure humaine dans mon travail. »

Il devrait toutefois renouer avec les actes de la prise de vue bientôt, puisqu'il a confié, hier, avoir un projet, notamment avec Gabor Szilasi : photographier des photographes photographiant... 

Afin d'approfondir la compréhension de la démarche de Michel Campeau, le musée McCord diffuse en fin de parcours un film de Romain Guedj, Revoir les Américains de Robert Franck, réalisé l'an dernier à partir de 120 heures de rencontres avec le photographe durant quatre ans.

Il organisera aussi un dialogue autour d'Avant le numérique, le 21 février, à 18 h. Une façon d'évoquer la dimension autobiographique qui traverse cette exposition... et la nostalgie qui nous étreint quand on pense à cette époque pas si lointaine où l'on s'achetait de beaux et grands albums photo. 

Au musée McCord (690, rue Sherbrooke Ouest)

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Une photo de film Kodak 120 Venchrome Pan exposé de 1956 côtoie (à droite) la facture d'une pharmacienne remise à une Mme Georgette qui lui avait donné un rouleau de négatifs à développer.

Photo Ivanoh Demers, La Presse

L'exposition comprend sept photos d'objets de la collection Bruce Anderson, dont cet appareil photo Sinclair Traveller Una de 1927.