Fondée à Montréal en 1996 par Rhéal Olivier Lanthier et François St-Jacques, la galerie Art Mûr prend racine en Europe - une première pour une galerie d'art contemporain canadienne. Après un an d'essai à Leipzig, en Allemagne, Art Mûr vient d'ouvrir un espace d'exposition à Berlin. Objectif: devenir une véritable galerie internationale.

L'expansion internationale, François St-Jacques et Rhéal Olivier Lanthier y pensaient depuis 12 ans. Forts de leur expérience et d'une vision bien définie, ils viennent de franchir le pas. Il faut dire que les fondateurs d'Art Mûr vivent et travaillent ensemble depuis 25 ans. Et se complètent bien. Franco-Ontarien, Rhéal Olivier Lanthier a étudié en sciences sociales et administration des affaires. Venu de Québec, François St-Jacques a fait les beaux-arts à l'Université Laval.

Prologue

Quand le galeriste René Blouin embauche François St-Jacques comme technicien au début des années 90, il ne se doute pas qu'il le met en orbite autour de la planète art. François en devient un mordu. Il travaille en parallèle pour Encadrements Marcel Pelletier et y fait entrer Rhéal Olivier. Tous deux finissent par ouvrir, en 1996, leur propre entreprise d'encadrement dans Saint-Henri. Un espace réservé aux expositions est inauguré trois ans plus tard.

Audace

Art Mûr déménage en 2002 au 5826, rue Saint-Hubert. Aucune galerie d'art contemporain n'est alors implantée dans le quartier. La bâtisse leur donne 1300 m2 de surface d'exposition. C'est grand pour un marché montréalais fragile. Mais les deux galeristes n'ont peur de rien. «En termes de superficie et de nombre d'artistes, on devenait une des plus grandes galeries du Canada», dit Rhéal Olivier Lanthier.

La qualité d'abord

Art Mûr attire des artistes de qualité. Bien que 20 des 27 artistes représentés par la galerie en 2006 ne le soient plus, parmi les 44 artistes avec lesquels ils travaillent aujourd'hui, il y a de grands noms comme Dina Goldstein, Nicholas Galanin, Jannick Deslauriers, Patrick Beaulieu, Holly King, Claude Tousignant, Melvin Charney, Nadia Myre, Guillaume Lachapelle, Cal Lane, Jonathan Hobin ou Barbara Todd. Et des valeurs sûres telles que Simon Bilodeau, Jean-Robert Drouillard, Patrick Bérubé, Karine Payette ou encore Karine Giboulo. 

La recette

Le succès d'Art Mûr découle d'une méthode appliquée avec soin. Présenter des expos solos et de groupe. Publier un fascicule détaillé et bilingue de 24 pages pour chaque expo. Présenter des artistes multidisciplinaires, autant de femmes que d'hommes, et des artistes autant américains que canadiens-anglais et québécois.

Un site internet trilingue (anglais-français-allemand) est là pour séduire les collectionneurs du monde entier. Le chiffre d'affaires d'Art Mûr est d'ailleurs moins dépendant du marché local depuis trois ans. 

La galerie a établi, dès 2002, des relations étroites avec les universités canadiennes pour exposer, chaque été, de jeunes artistes. Et avant bien du monde, elle a présenté des artistes autochtones, grâce notamment, depuis huit ans, à sa biennale d'art contemporain autochtone (BACA). «Notre force est d'avoir toujours été en réflexion, dit Rhéal Olivier Lanthier. On a toujours voulu aller plus loin en étant à l'écoute des opportunités.»

Berlin 

Grâce à des contacts noués en 2015 à Venise, Art Mûr a ouvert, en septembre 2016, un local à Leipzig, en Allemagne. Un essai fructueux que les fondateurs ont transformé en s'installant, depuis novembre dernier, de façon permanente à Berlin.

Pourquoi Berlin plutôt que Londres ou Paris? Parce que c'est une capitale de l'art contemporain. Et à cause des coûts: le loyer mensuel est de 2500 $ pour 110 m2. La galerie ne paie aucune taxe municipale. 

Art Mûr se retrouve ainsi au 9, rue Hessische, dans le quartier de Mitte, à deux pas du Musée d'histoire naturelle. Avec un espace divisé pour exposer à la fois des artistes nord-américains et européens. «En exposant des artistes européens qui ont déjà une réputation, on attire une clientèle et on donne de la visibilité aux artistes canadiens», dit Rhéal Olivier Lanthier.

Directrice de la galerie à Berlin, l'historienne de l'art Anaïs Castro a pour mandat de dépister les perles rares. «Je pense que les artistes européens peuvent être intéressés à être avec nous pour avoir un pied en Amérique», dit Rhéal-Olivier Lanthier. 

Depuis le 18 janvier, Art Mûr Berlin expose les oeuvres du Montréalais Simon Bilodeau et de Trevor Kiernander, artiste ontarien qui partage son temps entre Montréal et Londres. Elle exposera ensuite les créations de Marie-Ève Levasseur, Québécoise qui vit en Europe, celles du Néerlandais Robbie Cornelissen et celles de Monira Al Qadiri, originaire du Koweït. 

Art Mûr prototype? 

Seule galerie montréalaise à avoir aujourd'hui sept employés permanents, Art Mûr est un cas. C'est la raison pour laquelle le professeur Louis Jacques Filion, de HEC Montréal, l'a retenue pour figurer dans son livre Artistes, créateurs et entrepreneurs, publié à l'automne.

«François St-Jacques et Rhéal Olivier Lanthier font partie de ces galeristes qui osent et se développent comme des commerçants avisés, ce qui les distingue du lot, dit le rédacteur en chef de Vie des arts, Bernard Lévy. Alors, oui, ils font figure de modèles.»

Perspectives

À l'origine de leur ascension, René Blouin estime que le parcours d'Art Mûr est «impressionnant». «Ils ont été mordus par l'art, dit-il. Ils sont passionnés et ratissent large. On se bat pour réintroduire l'art dans les écoles. Pas pour avoir un nouveau Van Gogh, mais pour avoir de meilleurs médecins, de meilleurs avocats, car la créativité est importante partout. Art Mûr est le meilleur exemple de ce que permet l'art combiné au travail.» 

Art Mûr n'est toutefois pas encore arrivée au bout du chemin. La concurrence est féroce en Europe. Les deux conquistadors vont devoir jouer des coudes et faire preuve de flair pour attirer des artistes européens de qualité muséale. Pas le choix s'ils veulent jouer dans la cour des grands.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Rhéal Olivier Lanthier et François St-Jacques, ont été les seuls galeristes à faire la une du magazine Vie des arts. C'était en 2006-2007, à l'occasion des 10 ans de la galerie montréalaise.

Des artistes évoquent leur collaboration avec Art Mûr

Patrick Bérubé (Montréal)

«Art Mûr est pour moi un immense terrain de jeu, qui s'étend maintenant jusqu'à Berlin, et dans lequel on m'offre une totale liberté.»

Nicholas Galanin (États-Unis)

«Art Mûr a réussi à générer un important dialogue au sein de la communauté des arts visuels. Je suis reconnaissant de travailler avec François et Rhéal.»

Karine Giboulo (Montréal)

«Rhéal et François sont passionnés ! Ils aiment les artistes et travaillent avec audace et énergie afin de nous faire rayonner. C'est un beau privilège d'évoluer avec la famille d'Art Mûr.»

Dina Goldstein (Vancouver) 

«Art Mûr prend des risques en exposant des artistes qui repoussent les limites de l'art contemporain. Leurs expositions sont souvent avant-gardistes et récoltent une reconnaissance après plusieurs années. Ces deux fonceurs sont respectés à Montréal et partout dans le monde de l'art.»



«J'attends d'un galeriste qu'il partage ma vision, mais aussi qu'il soit audacieux et prêt à prendre des risques. Rhéal Olivier et François sont ce galeriste au carré!»

Les expos d'Art Mûr Montréal en 2018

1. Jean-Robert Drouillard et Adam Gunn, jusqu'au 24 février

2. Patrick Bérubé, Hédy Gobaa, Jannick Deslauriers et une expo collective, Grâce au dessin: 3 mars au 28 avril

3. 4e Biennale d'art contemporain autochtone, 4 mai au 16 juin

4. 14e Peinture fraîche et nouvelle construction, 14 juillet au 25 août

5. Henri Venne, Colleen Wolstenholme et Judith Berry, 8 septembre au 27 octobre 

6. Éric Lamontagne, Laurent Lamarche et Jinny Yu, 3 novembre au 15 décembre

Photo fournie par la galerie Art mûr

Everythings Fucked, une oeuvre de 2017 de Trevor Kiernander, qui expose les peintures et dessins de son corpus Bound and Boundless jusqu'au 3 mars à la galerie berlinoise d'Art Mûr