L'Histoire avait un peu oublié la «femme impressionniste». L'exposition que lui consacrera le Musée national des beaux-arts du Québec, l'été prochain, devrait réparer cette injustice.

Elle fut membre à part entière du mouvement impressionniste. Son oeuvre, conséquente, se compare avantageusement à celle de ses contemporains. Certains lui reconnaissent aujourd'hui des qualités de peintre avant-gardiste. Et pourtant, Berthe Morisot (1841-1895) n'a pas toujours eu la reconnaissance qu'elle méritait.

L'exposition que lui consacrera l'été prochain le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) pourrait réparer cette injustice, alors que seront présentées une soixantaine de toiles de l'artiste, provenant d'institutions publiques et de collections privées.

Un événement, pourrait-on dire, puisque Berthe Morisot, femme impressionniste voyagera ensuite dans deux gros musées américains (Dallas Museum of Art, Barnes Foundation à Philadelphie) avant de finir sa course en 2019 au musée d'Orsay (le musée de l'impressionnisme à Paris) où a eu lieu hier la conférence de presse annonçant sa mise en route.

«Il était grand temps de lui rendre hommage et de lui redonner sa juste place dans le mouvement impressionniste, place qui a parfois été minorée», estime Laurence Des Cars, directrice du musée d'Orsay.

Ce sera la première fois qu'un musée national français lui consacre une exposition monographique depuis 1941. Et la première fois tout court pour un musée canadien.

Il faut savoir que Berthe Morisot est le plus souvent exposée, parmi d'autres artistes, dans le cadre d'expos à thématiques plus larges.

«Cette fois, on voulait la présenter en soi, et pour elle-même. Pas nécessairement avec ses collègues», précise Line Ouellet, directrice du MNBAQ, présente à Paris.

Victime du machisme

Pourquoi Berthe Morisot fut-elle marginalisée?

Une carrière trop courte, déjà. L'artiste s'est éteinte à l'âge de 54 ans, laissant derrière elle une oeuvre qui aurait pu être plus abondante - environ 400 toiles, dont une majorité de portraits et de scènes de la vie bourgeoise de l'époque.

Et puis, bien sûr, c'était une femme. Évoluant dans un monde d'hommes.

Si elle a connu une certaine notoriété, participant aux huit expositions impressionnistes de 1874 à 1886, et si elle a été la seule, avec Renoir, à voir de son vivant l'une de ses oeuvres achetée par un musée national, Berthe Morisot est ensuite tombée dans le dalot de l'histoire de l'art, tandis que ses collègues masculins entraient dans la légende.

Photo fournie par le MNBAQ

Berthe Morisot, Eugène Manet à l'île de Wight, 1875. Huile sur toile, 38 x 46 cm. Paris, Musée Marmottan-Monet

Pour Julie Rouart, responsable du secteur des livres d'art chez Flammarion (qui édite le catalogue) et surtout arrière-arrière-petite-fille de l'artiste, il est évident que Berthe Morisot a souffert du sexisme ambiant. Constat d'autant plus choquant qu'elle a été considérée de son vivant comme l'égale de ses pairs.

«Ce sont les historiens de l'art et les conservateurs de musées qui l'ont évincée. Parce qu'elle peignait sa fille, on l'a considérée comme une peintre du dimanche», explique Julie Rouart, responsable du secteur des livres d'art chez Flammarion.

Un «machisme» typiquement français, ajoute-t-elle. Par opposition aux États-Unis, où Berthe Morisot a fait l'objet d'une rétrospective dès 1987. Et typiquement de mauvaise foi, semble-t-il, puisque l'apport de Berthe Morisot au mouvement impressionniste n'est plus à prouver.

«Elle était incroyablement innovatrice, dans sa façon de jouer entre le fini et le non-fini, à la limite de l'abstraction», résume Nicole Myers, conservatrice au Dallas Museum of Art. Une approche unique, ajoute-t-elle, qui lui vaudra d'être vue par certains comme «la plus impressionniste d'entre tous».

Une autre raison d'applaudir la création de cette exposition itinérante, largement initiée par le MNBAQ sous l'impulsion de Line Ouellet. Qui y voit, elle aussi, l'occasion d'une réhabilitation en bonne et due forme.

«Elle avait tout, dit-elle. Mais l'Histoire est encore à écrire...»

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Berthe Morisot, femme impressionniste, au MNBAQ, du 21 juin au 23 septembre 2018

Photo fournie par le MNBAQ

Berthe Morisot, L'Ombrelle verte, 1873. Huile sur toile, 46 x 71,8 cm. Cleveland Museum of Art, Hanna Fund, 1950.89