La Montréalaise Jana Sterbak vient de recevoir le prix Paul-Émile Borduas, la plus haute distinction remise au Québec à un artiste visuel. La Presse l'a rencontrée alors qu'elle expose, pour l'occasion, quelques-unes de ses oeuvres à la galerie Laroche/Joncas, tout en préparant sa première exposition muséale au Québec, l'été prochain, en Abitibi.

En obtenant le prix Paul-Émile Borduas, Jana Sterbak suit (enfin! serait-on tenté de dire) les traces des plus grands artistes visuels du Québec. Les Guido Molinari, Jean Paul Riopelle, Marcelle Ferron, Betty Goodwin, Françoise Sullivan, Michel Goulet, Armand Vaillancourt, René Derouin, Jocelyne Alloucherie, Raymonde April, Marcel Barbeau, Rita Letendre, Cozic ou encore Gabor Szilasi. Toute une fratrie! 

Née à Prague en 1955, elle est arrivée au Canada avec ses parents en 1968, à la suite du Printemps de Prague. Diplômée en beaux-arts de Concordia en 1977, elle a exposé un peu partout depuis 40 ans: à la Biennale de Venise en 2003, à New York, à Chicago, à Barcelone, à Paris ou à Londres. 

Ses oeuvres - des sculptures, des vidéos, des photographies et des installations - se retrouvent dans de grandes collections et des institutions prestigieuses telles que le Centre Georges-Pompidou, le musée Maaxi de Rome, le San Diego Art Museum, le Queensland Museum of Art de Brisbane, en Australie, ou le Musée des beaux-arts du Canada. 

Robe de chair

Intéressée par la condition humaine, le corps et l'identité, Jana Sterbak a suscité la controverse en 1991 quand elle a exposé une robe faite de lambeaux de viande de boeuf cousus ensemble, Vanitas: robe de chair pour albinos anorexique

Une oeuvre qui a fait couler beaucoup d'encre et lui a conféré une réputation internationale. Celle d'une femme créant avec une totale liberté. Comme le disait la critique Jocelyne Lepage, Jana Sterbak pratique «un art "féminin" qui n'a rien à voir avec les tulipes».

Après avoir reçu le prix Ozias-Leduc en 1995 et celui du Gouverneur général en 2012, Jana Sterbak se réjouit aujourd'hui de la récompense du gouvernement québécois. «C'est une grande reconnaissance, un prix important», dit-elle.

Représentée par la galerie montréalaise Laroche/Joncas, Mme Sterbak est encore très présente sur la scène internationale. Depuis le 13 mai et jusqu'à samedi prochain, elle fait partie de l'exposition Intuition, présentée au Palazzo Fortuny, à Venise, en parallèle à la 57e Biennale. Elle a exposé ses oeuvres en Autriche de décembre à février derniers, puis en Allemagne de mars à juin.

«Il y a eu des périodes durant lesquelles on ne m'a pas vue beaucoup au Québec, dit-elle. Mais je suis souvent à Montréal, sauf récemment! J'étais à Rome, car l'oeuvre que le musée Maaxi m'a achetée était abîmée. Il fallait que je la refasse.» 

Une expo à Rouyn-Noranda

Le MA (musée d'art) de Rouyn-Noranda lui consacrera une grande exposition l'été prochain. «On exposera des oeuvres qui m'appartiennent», dit-elle. 

«Le MA sera le premier musée québécois à me consacrer une exposition. En 1993, j'avais exposé une seule installation vidéo au Musée d'art contemporain de Montréal. Et c'est tout.» 

En attendant, on peut découvrir des oeuvres de sa collection chez Laroche/Joncas, qui souligne son prix Borduas. L'artiste à la généreuse chevelure frisée y expose 2 sculptures (Cones on Hands, de 1979, et Spare Spine, de 1983), une série de 9 dessins réalisés au graphite ainsi que 36 dessins des années 80 à aujourd'hui, déjà exposés ensemble à la galerie de l'UQAM par la commissaire Louise Déry en 2001.

Ces 36 dessins proviennent de ses carnets personnels. Des idées et des exercices créés notamment quand elle vivait à New York et suivait des cours de physique à la NYU. «Ces cours étaient trop compliqués pour moi! dit-elle. C'était pour des étudiants qui allaient poursuivre leurs études. Mais c'était intéressant.» 

Deux de ces dessins évoquent la féminité, des créations qu'elle a un peu de difficulté à expliquer. «C'est ancien et un peu privé, dit-elle. C'est féminin, mais tout mon travail est féminin. Les gens m'ont prise pour quelqu'un d'engagé dans la lutte, alors que je suis trop égoïste pour ça. Et je pense que la plupart des artistes sont comme ça.» 

Disant ne pas être récupérée par la politique, Jana Sterbak estime que dans le contexte international actuel, on est encore loin du temps des cerises. 

«C'est dur actuellement. Tout est dur. Finalement, je suis très contente de ne pas avoir fait d'enfants: que peut-on leur offrir actuellement?» 

Y a-t-il des éclaircies, tout de même? «Oui, répond-elle. Dans les relations humaines. Quand j'ai reçu le prix Borduas, les mots de la vice-première ministre, Dominique Anglade, étaient très inspirants. C'était encourageant. J'aimerais bien qu'elle devienne chef de gouvernement!»

___________________________________________________________________________

À la galerie Laroche/Joncas (Espace 410, 372, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal), jusqu'au 23 décembre.

Photo fournie par la galerie Laroche/Joncas

Vanitas: robe de chair pour albinos anorexique, collection centre Pompidou