La Fonderie Darling n'est pas qu'un lieu d'exposition et une résidence d'artistes. C'est aussi un centre d'art qui collabore avec des chercheurs. Sa directrice, Caroline Andrieux, a donc accueilli avec joie le projet que deux commissaires français, Maud Jacquin et Sébastien Pluot, ont mis sur pied en s'attaquant, il y a cinq ans, à la réactivation d'un événement de l'histoire de l'art américain, soit The House of Dust de l'artiste new-yorkaise Alison Knowles et du compositeur James Tenney.

Aujourd'hui âgée de 84 ans, Alison Knowles a été à l'origine de l'un des premiers poèmes générés par ordinateur, en 1967. Les deux commissaires l'ont rencontrée et ont demandé à des artistes d'ajouter leur pierre à cet édifice né de la réappropriation de cet échantillon d'art-distraction.

Maud Jacquin et Sébastien Pluot ont présenté une première expo sur le sujet à New York l'automne dernier. Nous avons droit à la deuxième version, tandis qu'une troisième est en préparation pour Paris.

Voilà une proposition qui fait renaître le mouvement Fluxus des années 60 et requiert du visiteur une certaine vivacité d'esprit pour découvrir un parcours parfois curieux, parfois drôle et toujours exigeant. Une visite qui nous transporte dans un univers où la philosophie croise la science en train de jaser avec l'art!

Traduction

Au départ, l'initiative de Knowles est une affaire de traduction. Traduction de mots par un programme informatique qui donne un poème né du hasard, lui-même traduit sous la forme d'une architecture qui devient une plateforme pour l'interprétation d'autres oeuvres.

On assiste, comme visiteur, à la réinterprétation d'une démarche sous le regard actuel de l'artiste. Pour bien cerner le sujet, les commissaires proposent un film qui met l'expo en contexte et l'impression en temps réel du poème généré par ordinateur. Un exemplaire d'un journal The House of Dust est aussi remis. On y présente une des «maisons» ou créations architecturales que l'artiste néodadaïste avait créées à partir de son poème.

Parler à une anguille...

Parmi les interprétations de ce poème, celle du collectif australien A Constructed World consiste en l'érection d'une «maison de papier» qui propose au visiteur de communiquer... avec une anguille. Oui, une anguille! Un numéro de téléphone en France est même fourni pour les personnes que cette communication intéresse.

Il faut dire qu'un des aspects de l'étude concerne le langage non humain. Une oeuvre de l'Américain Jeff Guess évoque la recherche menée dans les années 60 à Atlanta sur un chimpanzé qui a été initié au langage humain grâce à un système informatique. Guess a ainsi créé neuf panneaux sur lesquels sont reproduits les énoncés possibles entre les chercheurs et le singe.

À côté, c'est le langage des plantes qui est évoqué par TV Dinner for Plants, oeuvre de 2011 de l'artiste et philosophe californien Jonathan Keats qui aborde la capacité des plantes à ressentir des «émotions» reliées aux stimuli qu'elles reçoivent - notamment, le fait que la photosynthèse serait différente selon le type de lumière. Dans cette oeuvre, les plantes sont sujettes à des «recettes» multicolores projetées par deux écrans qui offrent, en tant que «restaurant photosynthétique», des «repas» différents aux plantes! Une approche de la vie comme l'a, par exemple, définie l'anthropologue de McGill Eduardo Kohn dans son livre Comment pensent les forêts.

Dans une autre oeuvre, worms.txt, de Martin Howse, des lombrics sont nourris dans un récipient. En bougeant, ces vers produisent des vibrations électriques enregistrées par des capteurs et traduites sous la forme d'une écriture poétique sur un ordinateur.

Aspirateur-cinéma

Le visiteur sera aussi intrigué par un robot aspirateur qui se promène en projetant une vidéo! L'oeuvre de Stéphane Degoutin et de Gwenola Wagon diffuse une succession d'images sur les rencontres interespèces, par exemple un chat communiquant avec une plante.

En résidence à la Fonderie, Aurélie Pétrel a fait un projet de recherche au Centre canadien d'architecture sur les travaux de l'architecte Peter Eisenman sur la syntaxe architecturale. Décalage entre forme et signification de la forme, mais aussi participation du hasard, un critère que fait sien la démarche de Knowles.

Parallèlement à l'expo, la Place publique de la Fonderie accueille, dans la rue Ottawa, l'oeuvre Unité d'habitation d'Antoine Caron que les deux commissaires se sont appropriée, estimant qu'elle était en résonance avec The House of Dust.

Il s'agit d'un mur de 42 aquariums contenant toutes sortes d'objets provenant de l'histoire de la Fonderie. Tuyaux, vieilles briques, tête de pioche, grillage, etc. Caron les a confrontés à une eau où des algues vont transformer ces objets. Un concept relié à la «pureté» d'une unité d'habitation du Corbusier, dit l'étudiant de Concordia. Mais aussi une traduction différente de ces objets par l'effet de ces algues.

L'oeuvre rejoint ainsi The House of Dust dans cette volonté de tenir compte du passé, sans le copier ni le vénérer, mais en s'en inspirant. Avec le langage d'aujourd'hui. Car l'oeuvre est traduisible à l'infini, se transforme, renaît et survit dans ses innombrables déclinaisons.

À la Fonderie Darling (745, rue Ottawa, Montréal), jusqu'au 20 août

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Sébastien Pluot et Maud Jacquin ont mis sur pied The House of Dust d'Alison Knowles en s'attaquant à la réactivation d'un événement de l'histoire de l'art américain, né du mouvement Fluxus.