Le festival Mural a accueilli la vedette de l'art urbain 1010 pour la création d'une nouvelle oeuvre. Alors que l'artiste allemand se tient normalement loin des projecteurs, il a répondu avec franchise à nos questions. Rencontre.

À notre arrivée, 1010 ne porte ni casquette ni masque protecteur. À l'angle de la rue Victoria et de l'avenue du Président-Kennedy, le grand homme aux yeux bleus s'apprête à prendre place sur son échafaudage pour poursuivre la murale qu'il crée pour le cinquième festival Mural. Juste avant de poser pour le photographe, il camoufle cependant son visage.

Pourquoi refuses-tu de montrer ton visage?

Lorsque j'ai commencé à faire des graffitis, j'ai inventé une nouvelle personne, une nouvelle identité. J'aime porter un masque, avoir un alias. Un peu comme nous faisions au début avec l'internet, avant qu'ils décident de tout personnaliser. Si tu écoutes de la musique classique, tu ne sais pas à quoi ressemble le gars derrière la contrebasse. Et tu aimes quand même écouter cette musique, tu comprends? Ou par exemple, quand tu vas dans un restaurant, tu n'as pas vraiment besoin de voir le cuisinier. Tu vas juste profiter d'un excellent repas, et ensuite, tu diras que c'était très bon. Alors, pourquoi faut-il voir les artistes ? Je ne fais pas de l'art vivant, je ne suis pas sur une scène. Je peins des murs.

Il y a des artistes qui veulent être connus, notamment pour avoir plus de contrats, faire plus d'argent.

Wow ! Non, je ne suis pas d'accord avec ça. Oui, il y a des gens qui deviennent connus pour faire plus d'argent, mais je ne ferais pas ça. Je m'en sors bien, crois-moi. [Il rit.] J'aime ne pas être connu. Et ce qu'il y a de bien avec un alias, c'est que tu peux faire plusieurs choses. Il y a des musiciens qui ont quatre alias et qui peuvent donc se permettre de jouer de la musique différente avec chacun. J'aime écrire, j'aime la sculpture et j'espère toucher à ces formes d'art bientôt : je pourrais être 1212 ou 2020.

Les journalistes disent souvent à ton sujet que tu es très mystérieux, qu'il est difficile d'en apprendre sur toi. Est-ce vrai ? Est-ce que tu me répondrais si je te demandais quelle est ta formation professionnelle ou si tu as des enfants?

Je suis célibataire et je n'ai pas d'enfants. Alors, tu vois, je peux répondre. [Il rit.] C'est juste que personne n'osait me poser ce genre de questions. Je n'ai pas de chat non plus, si tu veux tout savoir. Mais j'aimerais bien en avoir un. J'ai étudié en illustration. Également, en philosophie et en sociologie. OK, je vais essayer de m'ouvrir plus aux médias.

Comment décrirais-tu tes oeuvres?

Je suis très intéressé par les perceptions. Comment nous arrivons à assimiler les informations et comment nous les traduisons dans la réalité.

Tout semble très précis dans tes oeuvres. Tu sembles laisser peu de place à l'improvisation. Avais-tu fait un croquis avant de commencer celle-ci?

Oui, j'ai fait un croquis avant d'arriver devant le mur, parce que les propriétaires veulent toujours voir ce que nous allons faire. Mais en même temps, je me laisse la liberté de changer tout ça lorsque j'arrive sur place. Comme ici, j'ai tout changé ! En même temps, les gens qui m'invitent sont au courant de mon travail. Ce n'est pas comme si je changeais mon style. Et je ne veux pas arriver ici et juste recopier mon croquis. À mon arrivée à Montréal, j'ai pris les trois premiers jours pour me promener dans la ville, ressentir l'énergie de votre ville. C'est ma première fois au Canada.

Et qu'as-tu ressenti?

Je sens vraiment que les gens ont eu froid pendant des mois et qu'ils sont extrêmement heureux de voir le beau temps! [Il rit.]

Tu présentes également des oeuvres dans des galeries d'art.

Oui, j'aime faire les deux. Dans les trois dernières années, j'ai pratiquement juste voyagé et peint des murs. J'ai peut-être fait un mur par mois environ. Donc en ce moment, je te dirais que j'ai hâte de me retrouver en studio. C'est comme do-bi-do-bi-do: j'aime faire un peu de mur, un peu de studio, un peu de mur...

Je croyais qu'un artiste urbain ne pouvait pas vendre en galerie sans se faire juger par les autres artistes. Ce n'est pas le cas?

J'ai commencé à faire des graffitis en 1994. Eh oui, je pensais, comme ça, que je ne devais pas être en galerie. Et finalement, je me suis dit: «Pourquoi pas?» Je crois que la plupart des artistes font ça maintenant. Oui, il y a encore des graffiteurs qui ne font que ça, mais pour moi, ce n'est pas un problème. Je crois que le truc de ne rien vendre était plutôt comme le début du mouvement hip-hop. C'était plus dans les années 90. Pour moi, le problème serait plus de faire des publicités.

Tu ne ferais jamais ça?

Il ne faut jamais dire jamais. J'accepterais de travailler avec une agence pour faire un projet qu'il me serait impossible de faire par moi-même. Mais il faudrait vraiment que ce soit lié à ce que je fais. Je trouve en fait que les entreprises abusent souvent des artistes urbains. Parce que ce sont souvent des jeunes, pas très éduqués sur la manière de se vendre, et ces entreprises leur disent que ça va être bien pour leur carrière d'être dans de grosses publicités. Ce qui est complètement faux.

Que préfères-tu de ton travail?

Je fais ce que je veux, c'est la plus belle partie de mon travail. Je peux explorer constamment et je me documente beaucoup sur tout plein de sujets. Et à un moment, je vois que ça rebondit dans mon travail, que ça influence mes oeuvres.