Le critique d'art brésilien Mário Pedrosa disait que l'art est un exercice expérimental de la liberté. Les artistes internationaux qui exposent cet été à la 57e Biennale de Venise ne font pas mentir son adage. La diversité de leurs propositions est aussi impressionnante que marquée par un besoin de réconforter plus que de critiquer. Voici nos neuf coups de coeur parmi les 85 nations participantes.

Égypte

Magnifique expérience que celle vécue au pavillon égyptien. L'artiste Moataz Nasr y a infusé l'atmosphère de son pays en montant, à l'entrée du pavillon, un large et haut mur en argile et en mettant de la terre et de la paille dans l'aire de projection de son film The Mountain. L'histoire qu'il raconte est celle d'une jeune Égyptienne qui quitte son village pour aller étudier et qui réalise, à son retour, le décalage entre la modernité et les traditions, entre le savoir et les croyances. Un film sur l'ignorance, sur la peur et la force des mythes. Avec une sage conclusion en forme de point d'interrogation. Du pur bonheur!

Pologne

Alors que la Pologne, comme d'autres pays européens, voit renaître une extrême droite bruyante et inquiétante, belle idée de ce pays d'avoir retenu l'Américaine Sharon Lockhart, qui présente des photos et une vidéo découlant de son travail effectué auprès de jeunes femmes en réadaptation dans un centre polonais de sociothérapie. Une voix donnée à ces jeunes filles en quête d'harmonie, mais aussi une voix et un hommage à un pédagogue juif polonais, Janusz Korczak, qui a mis sur pied, de 1926 à 1939, une démarche originale (basée sur l'expression personnelle) pour sortir des enfants de leur prison mentale - démarche interrompue par son arrestation par les nazis et sa mort au camp de Treblinka. Une exposition dense et nécessaire.

Danemark

Présentation originale que celle de Kirstine Roepstorff pour le Danemark. Influenza. Theatre of Glowing Darkness immerge les visiteurs dans une obscurité régénérante, assis dans le noir absolu, au sein d'une installation qui émet ici et là de faibles projections de lumière. L'artiste diffuse une narration sur notre capacité à accepter des mises à l'épreuve... comme l'influenza, mais sur le plan sociétal. Pour être prêt à construire un monde nouveau, uni et «guéri» de ses maladies humaines... Mais pour cela, il faut se défaire de ses préjugés et de ses références pour en adopter de nouvelles. Choisir le réconfort.

États-Unis

Mark Bradford n'a pas digéré l'élection de Donald Trump. Il ne se gêne pas pour le dire et pour le montrer. Plutôt que de faire commencer la visite de ses oeuvres par l'entrée principale et victorienne du pavillon américain, il a fait ouvrir une porte latérale. Pour marquer sa différence. Et pour montrer l'énormité de sa déception électorale, il a placé dans la première salle une énorme et très laide concrétion qui vous force à vous rétrécir pour la contourner. À ruser aussi. S'ensuivent d'immenses collages faits de matières recyclées en guise de message environnemental. Et dans la dernière salle, son film Niagara, de 2005, met en scène un jeune homosexuel américain qui marche vers son destin. Histoire de garder confiance en l'avenir. Malgré tout.

Russie

Très belle contribution du pavillon russe cette année avec Theatrum Orbis (Théâtre du monde), parcours sur deux niveaux et en musique avec des oeuvres de Grisha Bruskin, Recycle Group et Sasha Pirogova. Nous avons beaucoup aimé les sculptures futuristes de Grisha Bruskin évoquant l'Antiquité et notre modernité agitée. De petits soldats marchant d'un même pas. Un bébé portant une bombe. On n'est pas dans le léger, mais la vidéo Garden, de Pirogova, nous ramène dans le positif avec une performance sur la vie et l'évolution, épurée, mêlant danse et théâtralité. Très beau.

Japon

Artiste dans la quarantaine, Takahiro Iwasaki est né à Hiroshima. Autant dire que cela aiguise l'esprit vis-à-vis de la paix et de l'environnement. Le titre de son exposition, Turned Upside Down, It's a Forest, fait allusion aux millions de pilotis qui soutiennent les maisons de Venise. Une image pour évoquer l'importance de ne pas oublier les piliers de la vie. Les oeuvres tridimensionnelles qu'il présente sous la forme d'une grande installation, notamment ses délicates maquettes en bois sculpté, nous invitent à adopter un regard neuf, notamment sur le nucléaire, la pollution industrielle et l'exploitation des ressources. Une curiosité: le visiteur peut apprécier le détail d'une des oeuvres en passant la tête à travers le plancher sur laquelle elle repose. Intéressant.

IMAGE TIRÉE DU FILM THE MOUNTAIN, FOURNIE PAR LA GALLERIA CONTINUA

The Mountain, de Moataz Nasr

Grèce

Avec une certaine logique, le pavillon grec est peut-être le plus philosophique et le plus cérébral de la Biennale. Une philosophie adaptée à la vie contemporaine et notamment au problème des réfugiés. Très bien faite, l'installation Laboratory of Dilemmas conjugue au présent la pièce Les exilées (Iketides) d'Eschyle (- 526, - 456) en opposant l'hospitalité et le besoin de sécurité. Soutenue par des extraits vidéo d'un documentaire inachevé sur une expérience scientifique, l'installation labyrinthique ne plaira pas aux claustrophobes, mais ravira les amateurs de réflexion sur la psychologie sociale. Et elle ne manque pas d'humour: on a deux choix quand on entre dans le pavillon, mais un seul pour en sortir. Logique, non?

Chine

Indéniablement un des plus beaux déploiements artistiques de la part d'une nation à Venise cette année. L'exposition Continuum propose un large spectre de l'art chinois, mêlant tradition et contemporanéité. Des papiers découpés et colorés de Wu Jian'an aux photographies de Tang Nannan en passant par les immenses sculptures en cuir découpé de Wang Tianwen et Wu Jian'an, et des broderies qui ressemblent à des créations au graphite sur papier, chaque oeuvre illustre la force d'évocation et le talent de ces artistes chinois qui héritent de leur savoir et le transmettent. Cela s'appelle le concept chinois du buxi, mélange d'énergie et de résilience qui force l'admiration.

Roumanie

Âgée de 91 ans, la grande artiste roumaine Geta Bratescu expose à Venise pour la troisième fois de sa carrière. Son pays lui rend hommage avec Apparitions, une sélection de ses oeuvres qui illustre la belle déclinaison de ses talents. Art figuratif, aquarelles évoquant son enfance, sujets conceptuels ou performatifs, personnages fantastiques, vidéo expérimentale, dessins abstraits, installation, lithographies, collages récents, ready-made, encres sur papier, jeux de formes et de couleurs, Geta Bratescu est une école d'art et de littérature à elle seule, avec comme fils conducteurs de ce déploiement vénitien la subjectivité féminine et la diversité du travail de studio. Nourrissant.

Photo Bartosz Gorka, fournie par le pavillon de la Pologne

Little Review, de Sharon Lockhart