Le 1700 La Poste innove encore une fois avec Vide et vertige, une séduisante exposition sur l'approche artistique du paysage. Pour ce faire, la fondatrice du centre d'art montréalais, Isabelle de Mévius, a réuni des oeuvres des photographes Jocelyne Alloucherie et Ivan Binet, et financé une imposante installation de Mathieu Cardin. Panorama réussi.

Isabelle de Mévius a rencontré Ivan Binet, l'an dernier, grâce au sculpteur de Québec Jean-Pierre Morin, que le 1700 La Poste a célébré au printemps 2016 avec l'exposition Entre ciel et terre.

«Quand j'ai vu les photos Pain de sucre 1 et 2 d'Ivan Binet, j'ai trouvé qu'il y avait quelque chose de féminin, dit la directrice du 1700 La Poste. C'est magnifique, cette impression de nu dans la neige. Je suis donc allée investiguer chez lui puis j'ai décidé de l'exposer!»

De fil en aiguille, le centre d'art a associé Jocelyne Alloucherie à Ivan Binet (qui se connaissaient déjà) pour une expo consacrée à l'architecture du paysage. Compte tenu de l'importance de ce thème dans sa pratique, Mathieu Cardin a également été retenu pour créer une grande installation in situ.

À l'entrée du 1700 La Poste, on tombe nez à nez avec les Pain de sucre 1 et 2, deux photographies prises au pied de la chute Montmorency, près de Québec, par Ivan Binet, un photographe de la Vieille Capitale qui excelle depuis 25 ans.



Photo Marco Campanozzi, La Presse

Des photographies d'Ivan Binet (à gauche) et de Jocelyne Alloucherie (au centre), ainsi qu'une installation de Mathieu Cardin (à droite), sont présentées dans l'exposition Vide et vertige, au centre d'art 1700 La Poste.

Perte de repères

Pain de sucre 1 et 2 sont toutefois en décalage par rapport aux autres clichés de Binet où ses choix d'angle et de point de vue déstabilisent notre regard. On peut bien parler de vide et de vertige. Prenez Chute 3, par exemple, une photo prise en 2007 et dans laquelle on n'arrive pas à prendre conscience du relief, des distances et de la profondeur. Même constat avec Chute 14. Impossible de savoir d'où est prise la photo. Du dessus? De côté? Est-ce le bord d'une rivière bouillonnante ? Une macrophoto? Difficile de trancher.

La perte de repères provoque même parfois l'impression d'avoir affaire à une peinture. La série de photos prises par Binet en 2016 dans l'ancienne mine de fer de Schefferville, avec ses étangs ferrugineux, parvient à nous flouer. Mine 9 fait quasiment penser à une abstraction.

«Les formes me parlent plus que les lieux, explique Ivan Binet. J'essaie de faire de beaux cadrages. J'aime sentir les jeux de masse ensemble.»

Ses photos de patinoires extérieures, prises l'an dernier à Kamouraska et aux Éboulements, sont un autre exemple de sa volonté de jongler avec la morphologie des lieux. Ivan Binet joue avec les lignes fuyantes de ces patinoires, leurs volumes, leurs formes et les différentes textures qu'il observe. Un formalisme de bon aloi.

Jocelyne Alloucherie

Sur la mezzanine de la galerie, le vertige est tout aussi manifeste avec l'alignement d'images très sculpturales qu'a captées Jocelyne Alloucherie en 2008 en s'approchant tout près d'icebergs, au large de Terre-Neuve. On y perçoit le caractère sédimentaire de la glace, sculptée par le froid, l'érosion éolienne et la gravité.

Face à ses photos d'icebergs flottant dans le brouillard, l'artiste a placé neuf structures de bois peintes à la caséine pour évoquer les grandes masses de glace arctique. Dans ces structures, elle a inséré des plaques de verre dépoli, découpées en biseau, pour ajouter à la symbolique glaciaire. Beau travail.

Mathieu Cardin

Quant à Mathieu Cardin, il propose, avec L'invention des images, un autre de ses agencements sur le paysage, un travail effectué sur l'idée de l'image. Conceptuelle et théâtrale, son installation évoque la photographie, la peinture et la sculpture.

L'artiste est parti d'une image de montagne en noir et blanc qu'il a déclinée en créant de grandes maquettes de massifs rocheux enneigés et un parcours qui permet d'élaborer ses propres images et même de prendre des égoportraits dans une pièce où deux miroirs en parallèle génèrent des images à l'infini.

Plausibles, les fausses roches des maquettes ont été créées avec de la mousse de polyuréthane et du plâtre. Cardin a même directement sculpté dans un pilier (préalablement agrandi) de la salle d'exposition pour ajouter à l'ambiance géologique des lieux.

Ingénieux et poétique, L'invention des images complète bien les deux autres corpus. Par cette association de trois réalisations artistiques, on obtient une illustration nourrissante des différentes voies de traitement du paysage. Et un rappel de l'intérêt d'avoir, soi-même, son propre regard sur les choses...

Vide et vertige, au 1700 La Poste (1700, rue Notre-Dame Ouest, Montréal), jusqu'au 18 juin. Mercredi et jeudi, de 11h à 18h, vendredi, de 11h à 19h, et samedi et dimanche, de 11h à 17h.

Photo Ivan Binet, fournie par le centre d’art 1700 La Poste.

Pain de sucre 2, 2007, Ivan Binet, impression au jet d'encre sur papier, 109 cm x 109 cm