Il ne reste plus qu'un mois pour admirer, à Ottawa, les oeuvres puissantes et raffinées d'Alex Janvier, un des plus grands artistes autochtones canadiens. Le Musée des beaux-arts du Canada lui consacre, jusqu'au 17 avril, une grande et passionnante rétrospective avec 154 peintures et dessins créés au cours d'une carrière de sept décennies. Un must!

«Mes peintures représentent qui je suis, les endroits où je suis allé, ce que j'ai vu et [...] tout ce qui a bien pu nous arriver.» 

C'est à un dépaysant voyage que le Musée des beaux-arts du Canada nous convie avec cette grande fête donnée à Alex Janvier. Car la peinture de l'artiste de 82 ans aborde en effet un univers que l'on connaît souvent bien mal: les traditions autochtones, l'influence de la spiritualité chez ces cultures, les pages sombres des funestes «pensionnats pour Indiens» et la relation fusionnelle des autochtones avec la nature. 

La peinture d'Alex Janvier raconte aussi sa propre histoire, celle que s'est tracée avec détermination l'artiste de Cold Lake, en Alberta, Autochtone d'origine dénésuline et saulteaux qui a emprunté les sentiers de l'art dès l'âge de 8 ans, alors qu'il était au pensionnat. 

«Faire de l'art était facile pour moi, écrit-il dans le catalogue de l'exposition. J'aimais me perdre dans la création, c'était mon refuge. Je m'inspirais de l'art traditionnel de mon peuple, mais c'est [Carl] Altenberg qui m'a enseigné les notions de base. Quand je rentrais chez moi l'été, je retournais observer la nature. Avec ma mère, je posais des collets pour attraper des lapins et je chassais le canard.» 

Peintures circulaires

Dès l'entrée de l'expo, on est subjugué par ses oeuvres circulaires, un format exploité tout au long de sa carrière et relié à la Terre comme au cycle du temps. Un film permet d'apprécier, en détail, la murale circulaire, Étoile du matin-Gambeh Then', peinte en 1993 avec son fils Dean sur le dôme du Musée canadien de l'histoire, à Gatineau. 

On découvre ses premières figurations tel que Saint-Joseph, le charpentier, alors qu'il n'a que 15 ans. Ses peintures religieuses d'alors témoignent de sa forte personnalité et de sa grande maturité. Le dogme catholique y figure mais associé à des références autochtones, comme dans Notre-Dame du tipi, de 1950, où la Vierge a des traits amérindiens.

Ses talents de dessinateur sont illustrés par Sans titre, esquisse d'une femme nue, de 1960, ou Nu no 3, de 1964, où les contours d'un corps féminin évoquent ce style qu'il développera ensuite dans des oeuvres plus abstraites et plus complexes qui affirmeront son identité. 

L'affirmation est la pierre angulaire de la carrière d'Alex Janvier. Sous de faux airs d'abstraction, ses oeuvres sont fortes et évocatrices. Elles regorgent de symboles et de petits dessins discrets qu'il faut examiner de près pour y voir des allusions aux revendications territoriales, au non-respect des traités, aux croyances autochtones ou à l'environnement. 

Écologie

Dans Eaux à gros poissons (L'ohwa'chok Touwah'), de 1982, Alex Janvier raconte l'histoire d'une baleine à l'ère glaciaire. On y distingue des lièvres, des poissons, un oiseau, un chevreuil. Un bestiaire célébrant la diversité biologique et la nécessité de respecter la nature quand on exploite ses ressources. On retrouve ce thème dans Lubicon, qui pointe les sociétés minières délinquantes. Le fond de la toile est rouge plutôt que le blanc habituel et la couleur jaune, qui symbolise les réjouissances, en est quasiment absente. 

Avec Battement de coeur, une oeuvre circulaire de 2013, il vitupère les conséquences environnementales et sanitaires de l'industrie pétrolière, en dessinant une goutte de pétrole où les couleurs vives sont anéanties par les souillures des hydrocarbures. 

L'engagement de Janvier pour le respect des Autochtones est récurrent dans sa peinture. Et symbolisé par la présence, près de sa signature, du nombre 287, qui réfère au numéro de traité de la Loi sur les Indiens, dont il a toujours regretté le paternalisme. 

Pensionnats indiens

Alex Janvier s'est aussi beaucoup indigné à propos des vieux pensionnats autochtones. Une salle du musée aborde, avec émotion, les 10 années qu'il a passées au pensionnat de Blue Quills. Ses oeuvres critiquent l'assimilation et les mauvais traitements infligés aux jeunes autochtones. Dans Le pensionnat indien, le Créateur a les larmes aux yeux. Derrière sa toile Larmes de sang, de 2001, il raconte les sévices qu'il a subis et son «enfance volée». Des oeuvres fortes et essentielles.

«Des contraintes politiques liées à mes origines dénésulines m'empêchent de faire certaines choses, mais je suis néanmoins un homme libre parce que je peux créer, écrit-il dans son catalogue d'exposition. Mon souhait le plus cher est de mourir un pinceau à la main.» 

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Au Musée des beaux-arts du Canada (380, Sussex Drive, Ottawa), jusqu'au 17 avril.

Photo fournie par le Musée des beaux-arts du Canada

Les journées d'août, 2015, Alex Janvier, aquarelle sur papier, 91,4 cm de diamètre. Avec l'autorisation de l'artiste et de la Janvier Gallery, Premières Nations de Cold Lake