Reconnu à l'étranger pour son travail en réalité augmentée, l'artiste montréalais Amir Baradaran vient d'obtenir l'une des bourses les plus importantes de l'histoire du Conseil des arts du Canada - d'une valeur de 120 000 $ - pour créer une méga-installation à l'intérieur de la Place des Arts (PDA) de Montréal et sur son Esplanade, vers la fin de l'année.

Au même moment, Miami accueillera une autre de ses oeuvres, réalisée grâce à une prestigieuse bourse américaine de 100 000 $.

Le Montréalais, qui réside désormais à New York, fait partie des artistes soutenus par le programme Nouveau chapitre du CAC, doté d'un budget spécial de 34,3 millions de dollars attribué par le gouvernement fédéral dans le cadre du 150e anniversaire du Canada.

Avec son oeuvre, il fera un clin d'oeil au programme de l'ONF qui, dans les années 60, a permis aux communautés canadiennes sous-desservies d'avoir accès à des caméras 16 mm et 8 mm pour archiver leurs histoires.

En 2017, Amir Baradaran offrira à la communauté mohawk d'Akwesasne la possibilité de se raconter par l'entremise de la réalité augmentée. Pour débuter, les participants répondront à des questions sur leurs premières expériences avec la technologie (ordinateur, courriel, WiFi, téléphone intelligent).

«Avec leurs anecdotes, on pourra tracer une ligne du temps qui nous permettra d'observer ce qui a transformé l'accès à l'information depuis 30 ans», affirme Amir Baradaran.

Selon le créateur de 39 ans, ces interrogations feront naître une réflexion sur des notions de classes sociales, d'ethnicité, d'accès et de pouvoir. «En 1993, un élève de ma classe avait apporté à l'école un cellulaire que son père avait acheté, se souvient-il. Il avait causé une telle commotion qu'il avait été expulsé de l'école ! Son usage de la technologie était un symbole d'accès à la richesse.»

Raconter autrement

Un quart de siècle plus tard, M. Baradaran continue de réfléchir sur ce sujet, qui se trouve au coeur de son projet en plusieurs étapes.

Après avoir répondu au questionnaire, certains conteurs d'Akwesasne iront à Los Angeles pour enregistrer environ 150 histoires de leur communauté dans un studio sphérique tapissé de capteurs d'images. Une technologie qui permettra de les reproduire en hologrammes.

«Le fait d'avoir des caméras partout va modifier leur façon de partager une histoire, comme l'a fait le cinéma quand il est entré dans nos vies.»

Désireux de changer le rapport entre le public et l'oeuvre, le Montréalais laissera aux participants le soin de choisir l'angle d'observation des représentations holographiques. «Il y aura aussi des couloirs avec des capteurs et des détecteurs de mouvements qui influenceront l'histoire, selon les réactions des gens.»

De plus, chaque personne munie d'un téléphone intelligent découvrira une histoire sur... elle-même. «On oublie que les machines récoltent des informations sur nous depuis longtemps», rappelle l'artiste.

«Les applications sur nos téléphones peuvent accumuler du data sur les endroits où l'on va, ce qu'on achète, etc. En analysant le tout, la machine peut en tirer une signification et raconter une histoire.»

Fruit de nombreuses années de travail, son projet a ravi les dirigeants de la Place des Arts. «Le matériau de base, soit la communauté autochtone d'Akwesasne, sa réalité et l'impact du cinéma documentaire des années 60 sur notre perception de cette réalité, ainsi que le désir d'Amir d'ouvrir le dialogue avec les Montréalais d'aujourd'hui, nous semblent porteurs d'une richesse artistique et sociale que nous souhaitons mettre en valeur», souligne Clothilde Cardinal, directrice de la programmation de la PDA.

Des projets dans le monde entier

L'établissement montréalais fera ainsi partie sous peu des nombreuses institutions du monde où le créateur a laissé sa marque. En 2010, Amir Baradaran a infiltré le Museum of Modern Art (MoMA) de New York grâce à une application permettant aux visiteurs de placer leurs téléphones intelligents devant certaines oeuvres et de voir danser l'artiste sur une chaise de réalisateur, qui décolle comme une fusée.

L'année suivante, il a accompli le même tour de force au Louvre de Paris en créant une animation de la Joconde qui se couvre la tête avec le drapeau français, comme s'il s'agissait d'un voile. Les autorités ne peuvent pas ralentir ses idées, puisque la loi n'encadre pas encore l'espace virtuel.

Nommé associé de recherche créative à l'Université Columbia de New York en 2016, le Montréalais a également reçu, il y a quelques semaines, une bourse de 100 000 $ de la fondation américaine Knight. Entre la mi-novembre et la mi-décembre 2017, une autre de ses installations, campée dans le quartier pauvre Little Haiti de Miami, s'interrogera sur l'accès aux technologies et à l'art des populations défavorisées.