Peintre figuratif de Québec, Frédéric Bruneau expose ses oeuvres pour la première fois à Montréal à l'âge de 43 ans. Car depuis huit ans, lui et sa femme consacrent une bonne partie de leur temps à leur fils atteint d'une maladie rare, le syndrome de l'X fragile. Une tâche exigeante qui inspire son art marqué par la fragilité de l'être.

En entrant dans la galerie Carte blanche, on est évidemment d'abord saisi par les couleurs. Mais en observant de plus près les peintures de Frédéric Bruneau, on discerne ici une détresse, là un émoi, un trouble, une gravité difficiles à déchiffrer.

Frédéric Bruneau a étudié les beaux-arts à Québec en 2007 après des cours en littérature et en communications. Trompant les lettres pour l'image, comme il dit, il a commencé à peindre en atelier puis à exposer à Québec. Mais sa carrière a été interrompue en 2010 quand il a appris avec sa conjointe que leur premier enfant, Arthur, né en 2008, était atteint d'une maladie génétique, l'X fragile. Cette maladie (qui touche un bébé de sexe masculin sur 4000) entraîne un retard du développement intellectuel et des troubles de comportement. 

«Du coup, j'ai arrêté de peindre pendant plusieurs années, dit Frédéric Bruneau. Et mon atelier, après le diagnostic, est devenu un espace de répit. J'y allais et je regardais mes pinceaux... Le diagnostic était trop prenant. Je n'avais plus d'inspiration. Je n'avais plus la force de peindre. C'était l'enfer à la maison.» 

La conjointe de Frédéric Bruneau étant urgentologue, le couple (qui a eu depuis une fille âgée aujourd'hui de 5 ans) a dû s'organiser. Décidant de s'impliquer pour contrer ce coup du sort, Frédéric Bruneau a fondé l'association X fragile Québec et cofondé la clinique X fragile du Centre hospitalier de l'Université de Sherbrooke.

Aujourd'hui, l'avenir d'Arthur n'est pas réglé (il a fait une fugue récemment. À 8 ans!), mais il va mieux. Il bénéficie du soutien d'éducateurs spécialisés, avec notamment des séances de zoothérapie avec des poneys. «Il a fait beaucoup de progrès, dit l'artiste né au Bic. Il commence à s'habiller, à reconnaître les couleurs, même s'il confond encore le rouge et le jaune. Il est capable de se faire comprendre. Il dit "comb" pour concombre ou "scuit" pour biscuit. Mais le plus grave problème, c'est le comportement. Les morsures, l'agressivité, des démangeaisons, il tape sa soeur. Sinon, il n'a pas de handicap physique. Il commence même à faire de la trottinette.»

Attiré par les regards

Du coup, Frédéric Bruneau a pu reprendre la peinture graduellement depuis trois ans... même si s'est ajoutée une donnée supplémentaire: il a appris qu'il était bipolaire. 

«Je l'ai su il y a deux ans et je comprends finalement que ça fait partie de toute ma démarche plastique. Mes personnages sont hantés. Leurs regards sont hantés. Ça correspond aussi à mon fils qui a un regard fuyant.» 

Directement ou indirectement, les créations de Frédéric Bruneau tournent encore beaucoup autour de son fils, même s'il dit avoir toujours été attiré par le portrait et notamment les regards. L'hiver dernier, son talent a été reconnu à l'étranger. Il a été retenu pour une exposition collective à l'Agora Gallery de New York. «J'ai beaucoup appris de cette expérience, dit-il. Et ça m'a sorti un peu de mon quotidien.» 

Inspiré par Nicolas de Staël, Pablo Picasso, Rene Almanza et Pierre Soulages, il expose à la galerie Carte blanche des oeuvres créées depuis un an et demi à partir de croquis et de photographies ou faites de mémoire. Ses matériaux de prédilection sont l'huile, l'acrylique, l'encre, la peinture aérosol, les crayons de couleur et l'aquarelle. Sa dernière idée est d'utiliser des cadres de bois sur lesquels l'huile sèche plus vite. 

«Je suis en démarche plastique, car maintenant, je sais où je m'en vais dans le domaine pictural, dit-il. Je suis de plus en plus capable de me détacher de l'X fragile. Et puis, je veux plus conceptualiser les choses, devenir plus fou...» 

Sa toile représentant des Massaïs, magnifique dans les proportions et les teintes, émane d'un artiste qui était alors plutôt en paix avec lui-même. En revanche, bien d'autres révèlent, avec un certain chaos chromatique, la perte de repères d'une famille quand elle connaît une infortune. 

«Cette exposition montre comment une épreuve majeure peut avoir un effet sur un créateur, dit Robert Desaulniers, commissaire et galeriste de Carte blanche. Je suis convaincu qu'il va se sortir de cette période.» 

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Portraits du X, de Frédéric Bruneau, à la galerie Carte blanche (1853, rue Amherst, Montréal), jusqu'au 8 novembre.

Photo Olivier Jean, La Presse

Songes de MasaÏ, 2015, de Frédéric Bruneau, huile sur toile, 60" x 40".