Pierre Trahan, le collectionneur et propriétaire de l'Arsenal, a pris un beau risque, l'an dernier, en laissant Nicolas Baier jongler avec ses étoiles pendant quelques lunes. L'artiste montréalais a tenu ses promesses et a encore sorti du gros calibre à la galerie Division. Présentée jusqu'au 5 novembre, son exposition Astérismes sur la conscience, la connaissance et les constellations est un régal. Pour l'esprit d'abord. Et pour l'esprit encore!

Parfois, l'art est ingrat et cachottier. C'est le sentiment qui nous a animé en quittant Astérismes, la dernière expo de Nicolas Baier présentée dans toutes les salles de la galerie Division. 

Il était bien sûr exaltant de découvrir un corpus dont on a suivi la genèse pendant huit mois. Mais le résultat a beau être nourrissant, on ne mesure pas complètement, en parcourant l'exposition, tout l'effort déployé pour sa conception, son mûrissement et sa réalisation. En regardant la vingtaine d'oeuvres d'Astérismes, on sent à peine qu'elles sont nées à la suite d'un investissement corps et âme. Quelle ingratitude! Peut-être est-ce à cause de l'atmosphère un peu froide (galactique?) qui ressort des impressions au jet d'encre, des sculptures et des installations qui questionnent toutes notre finitude au sein d'un univers qui nous intrigue depuis l'Homo erectus

Le fait d'utiliser des imprimantes tridimensionnelles, qui épaulent l'artiste dans sa tâche, n'est pas en cause dans cet écart de perception. Ce serait mal connaître Nicolas Baier, pour lequel le produit fini ne peut être que le terme d'un long processus d'élaboration, de questionnements, de changements de direction et d'un accomplissement jalousement minutieux. 

Tondo d'étoiles

Il demeure que c'est avec bonheur qu'on a pu voir où le chemin de la création a conduit Baier. Comme avec ces petits points blancs - qui figurent des étoiles - placés sur des plaques de plexiglas circulaires. On n'imaginait pas qu'en émergerait Hublot, un tondo architectural qui donne une image virtuelle des quelque 100 000 étoiles qui définissent notre connaissance actuelle de l'univers proche de notre planète. Plus on s'écarte du centre du tondo, moins les étoiles sont présentes. En fait, c'est notre ignorance qui augmente au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la Terre. 

Pour Rayonnement fossile, on constate avec enthousiasme ce qu'a donné l'idée d'illustrer le fond diffus cosmologique avec un tissage en laine. L'oeuvre est magnifique, délicate, réaliste et insinue une illusion de relief. 

Quand on avait vu Forêt dans l'atelier de Nicolas Baier, il s'agissait d'une création sombre. On distinguait bien la succession de ces gros ordinateurs assimilés à une « forêt de connaissance ». La version finale est peinte en blanc avec une laque époxy qui ajoute une impression de densité pertinente d'un très bel effet.

Constellations

Constellations (noire) et Constellations (or) sont deux beaux bas-reliefs à l'aspect plus mat ou plus doré que leurs états d'origine, un aspect donné par l'ajout de graphite ou de laiton. Monolithe, avec ses 2,15 m de hauteur, est née d'une erreur de la machine. Eh oui, la machine peut être humaine ! 

Cette sculpture à la fois abstraite et figurative mériterait d'exister dans des dimensions plus spectaculaires, telle une oeuvre d'art publique qui symboliserait la force créatrice de Montréal... 

Parmi les autres oeuvres, Data est très réussie. On croit voir - dans ce qui nous apparaît comme une immense « photographie » - un ruisseau qui coule parmi des épinettes, mais tout, absolument tout, est virtuel. À l'ère du numérique, la réalité artistique n'est parfois qu'illusion. Et pour la créer, ça prend aussi du génie. 

L'anamorphose Vanité (bureau d'astrophysicien) ne donne pas une perspective parfaitement reconstituée. C'était prévu. Le but n'est pas que les dizaines de fragments noirs usinés par imprimante 3D s'alignent parfaitement, mais que leur suspension dans les airs évoque le travail fractionné, incomplet et donc frustrant du chercheur en astronomie.

Pédagogie

L'intérêt de cette exposition passionnante est accentué par le fait que chaque oeuvre est accompagnée d'un véritable texte explicatif qui permet de comprendre la démarche de l'artiste et d'aller plus loin dans un domaine scientifique extrêmement pointu. 

De plus, dans la salle Giverny de la galerie, le visiteur peut compléter son parcours avec un film sur les « coulisses de l'exposition ». Des images passent en revue les différentes tâches effectuées par Nicolas Baier et ses 16 assistants pendant les huit mois de la production d'Astérismes. Une entreprise au service du savoir et de l'art qui force l'admiration, inspire et éclaire. Du soleil pour l'esprit ! 

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Astérismes, de Nicolas Baier, à la galerie Division (2020, rue William, Montréal), jusqu'au 5 novembre

Photo fournie par la galerie Division

Réminiscence 05Spectre (prototype) et Réminiscence 06 ont été accrochées dans la même salle de la galerie Division.