Portraits d'artistes, nus féminins et masculins, clichés sadomasochistes et homoérotiques, oeuvres florales. S'il a suscité la controverse, le New-Yorkais Robert Mapplethorpe (1946-1989) demeure l'un des grands photographes du XXe siècle. Après la Californie et avant Sydney, le Musée des beaux-arts de Montréal présente une rétrospective de son art.

Ce n'est pas la première fois qu'on expose des photographies de Robert Mapplethorpe à Montréal. Le collectionneur et artiste John Schweitzer a été le premier à le faire, dans sa galerie du 42, avenue des Pins Ouest, en décembre 1984.

L'expo présentait des nus, des natures mortes, des portraits et, dans une pièce privée, des photos plus hard.

«J'avais rencontré Robert à New York dans son atelier. Je connaissais son partenaire, Sam Wagstaff. Robert a été très gentil et simple. Il n'a pu venir pour le vernissage, car il avait un engagement en Europe.»

Les photos étaient vendues de 2000 $ à 3000 $. Elles valent aujourd'hui plusieurs centaines de milliers de dollars, dit John Schweitzer. Il en avait acheté quelques-unes, mais n'en a vendu qu'une - un autoportrait en noir et blanc d'une valeur de 2000 $ (à l'époque) - au Musée d'art contemporain de Montréal.

L'exposition n'avait pas déclenché de controverse. «La revue Parachute ne l'avait même pas couverte : elle trouvait que la photographie de Mapplethorpe était trop classique!», dit-il.

Trente-deux ans plus tard, Focus: Perfection - Robert Mapplethorpe est présentée au Musée des beaux-arts (MBAM) grâce au Los Angeles County Museum of Art et au J. Paul Getty Museum. Les deux musées californiens ont acquis, en 2011, 1929 photographies de Mapplethorpe et ont organisé, plus tôt cette année, une double exposition sur le plus sulfureux des photographes contemporains. 

Qui était Robert Mapplethorpe?

On a dit de lui qu'il était «le Warhol de la lentille» ou «le Jean Genet de la photo». Né dans une famille de six enfants, le photographe au visage d'ange a eu le goût de la création avant celui des garçons. Son père l'aurait vu militaire. Sa mère, prêtre. C'est toutefois vers le design publicitaire qu'il s'est dirigé, puis les arts graphiques.

Embrassant la photographie en 1971 (à la suggestion de son amie et égérie Patti Smith, qui a été son premier modèle), il expose une première fois en 1973 à la Light Gallery de New York.

Dès 1977, il hante les lieux de drague et de damnation et photographie de plus en plus les gais. Puis les Noirs et les femmes.

Dans les années 80, il bénéficie de l'essor de la photo sur le marché de l'art et du mouvement naissant en faveur des droits des homosexuels. En 1986, il apprend qu'il a contracté le sida. Il expose une dernière fois au Whitney Museum en 1988 et meurt le 9 mars 1989. 

La photographie sexualisée

Pour ses portraits, en noir et blanc, il travaillait la lumière, les contrastes, la mise en scène et la sensualité du sujet. Avec un style plus aéré que ceux de Richard Avedon ou d'Irving Penn, une mise en scène plus épurée que celles de Diane Arbus ou d'Arnold Newman, il a été très inspiré par le photographe français Nadar. 

Son génie était dans son obsession de donner à sa photographie toujours sexualisée une esthétique sculpturale frisant la perfection.

«Mais il ne voulait pas être voyeur», dit Nathalie Bondil, directrice du MBAM qui présentera Mapplethorpe de façon à ce que les visiteurs choisissent s'ils veulent ou non voir les photos les plus osées. Celles-ci seront placées dans deux salles: l'une interdite aux moins de 18 ans, l'autre aux moins de 13 ans. 

«Il ne pensait pas que son travail était destiné à tout le monde, écrit d'ailleurs Patti Smith dans sa biographie Just Kids. Lorsqu'il a exposé pour la première fois ses photographies les plus hard, elles étaient rangées dans un portfolio marqué de la lettre X, dans une vitrine réservée aux plus de 18 ans. [...] Sa mission n'était pas de révéler, mais de rendre compte d'un aspect de la sexualité envisagé comme oeuvre d'art, comme cela n'avait jamais été fait auparavant.»

Controverses

Mapplethorpe a choqué quand il a exposé ses premières photos d'éphèbes vêtus de cuir, s'embrassant ou exposant leurs attributs. L'Amérique puritaine l'a traité de pornographe durant les années reaganiennes (1981-1989). Si on lui demandait pourquoi il photographiait un fist-fucking comme une orchidée, il répondait que si le sujet photographié est différent, «le traitement est le même».

Quand le Contemporary Art Center (CAC) de Cincinnati lui a rendu hommage en 1990, le directeur du CAC a été accusé d'obscénité... mais il a finalement été acquitté.

L'héritage de Mapplethorpe

Mapplethorpe n'a pas été le premier photographe de nu masculin. Thomas Eakins, Wilhem Von Gloeden, F. Holland Day et George Platt Lynes l'ont devancé. Mais son audace vis-à-vis de la morale a bénéficié d'un élargissement des moeurs qui lui a ouvert les portes des musées. Richard Meyer, professeur d'histoire de l'art à l'Université de Stanford, estime qu'il a forcé les conservateurs à admettre l'existence «d'un art qui exprime ouvertement la sexualité de l'artiste et de ses sujets».

Un grand nombre de négatifs de Robert Mapplethorpe n'ont pas encore été développés. Cela laisse présager d'autres expositions sur l'oeuvre de cet artiste qui aimait Michel-Ange, le Bien comme le Mal, et qui aura marqué le néoclassicisme photographique. 

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Focus: Perfection - Robert Mapplethorpe, au Musée des beaux-arts de Montréal du 10 septembre au 22 janvier.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Le collectionneur et artiste John Schweitzer devant deux photographies de Robert Mapplethorpe. M. Schweitzer a rencontré l'artiste à New York en 1984 et 1988. «Un an avant sa mort, on voyait qu'il était malade, dit-il. Il était résigné. Le plus dur, pour lui, c'était de ne bientôt plus pouvoir travailler. S'il avait survécu, il aurait pu faire de grandes choses avec l'avènement du numérique...»