Quelle flamboyante Biennale d'art contemporain autochtone (BACA) ce printemps à Montréal ! Mis sur pied en 2012 par Rhéal Olivier Lanthier et François St-Jacques, les fondateurs de la galerie Art Mûr, l'événement prend l'ampleur souhaitée. La BACA présente, sur quatre sites, un art amérindien en pleine ébullition qui génère un intérêt décuplé de la part des amateurs d'art.

Pour rafraîchir l'idée imparfaite que l'on se fait de l'art autochtone actuel, cela prend, en fait, une journée de visites des quatre sites de la Biennale. Mais la plus grande surprise de la troisième BACA, sous le thème « Une révolution culturelle », c'est la Guilde canadienne des métiers d'art qui nous la réserve...

En nous rendant dans la galerie d'art autochtone et inuit de la rue Sherbrooke Ouest, on ne pensait voir que les inévitables sculptures en pierre à savon ou en os de baleine de pêcheurs et de chasseurs inuits. Ô coupable confusion, ce n'était point le cas !

Dans le cadre de la BACA, la commissaire Karine Gaucher a en effet choisi 27 oeuvres foncièrement contemporaines, créées par des artistes branchés sur « le Sud » et les nouvelles technologies. Des oeuvres actuelles et hybrides, comme l'installation vidéo Voyage+variations, de Geronimo Inutiq, un regard attendri et pince-sans-rire sur la nordicité.

Bien des idées préconçues sont en train de sombrer. Des artistes inuits prennent leur place parmi les créateurs contemporains, leur statut anthropologique s'effaçant peu à peu. Quelle fraîcheur dans les toiles de la Groenlandaise Bolatta Silis-Høegh où peinture et collages mêlés évoquent pourtant une chasse au phoque brutale à coups de dessins de viscères... dans un style mi-abstrait, mi-figuratif !

Nous avons adoré aussi le clin d'oeil de Ningeosiaq Ashoona avec son Computer Desk sculpté dans la stéatite : une critique du marché de l'art inuit (son côté conventionnel) et le reflet d'une vie qui change pour les Inuits. « Ils vont moins à la pêche ou à la chasse et sont plus souvent sur l'ordi », dit Karine Gaucher.

AUTOCHTONES DE L'OUEST

De son côté, la galerie d'art Stewart Hall, à Pointe-Claire, offre une perspective de la modernité de ton des artistes autochtones contemporains de l'Ouest canadien. Les frères Galanin (Jerrod et Nicholas) - d'origine tlingit et aleut - présentent Modicum, une installation éloquente sur les 1200 non-Blancs tués par la police en 2015 aux États-Unis. Des noms de victimes ont été inscrits sur des centaines de verres en polystyrène, blancs, ensanglantés et qui tombent en pluie sur la silhouette sombre d'un policier.

Tout aussi critique, Cowboys N' Indians d'Alison Bremner est faite d'un tambour en peau de daim et de figurines en plastique : des cowboys et des Indiens qui se tirent dessus pour revendiquer un territoire et ses richesses. « C'est aussi une critique des vieux stéréotypes, dit la commissaire Céline Le Merlus. Ces jouets de cowboys et d'Indiens avec lesquels on joue quand on est enfant. » On peut rapprocher cette oeuvre de celle de Neon Kohkom présentée à la galerie Art Mûr, Garbage Cans and "Headdress" with Letters, dans laquelle des « déguisements d'Indiens » ont été placés dans des poubelles...

Art Mûr réserve d'ailleurs un cocktail de créations corsé aux amateurs d'art. Deux étages d'oeuvres riches de contenu choisies par le commissaire d'origine crie Mike Patten. Avec les sculptures impressionnantes de Ludovic Boney, les photos de Bev Koski, les abstractions de Jeff Kahm, les capteurs de rêves de Marie Watt, les tableaux d'exploration pétrolière de Bruno Canadien ou encore les oeuvres fières de Maria Hupfield. Des réalisations qui montrent des liens entre passé et présent et révèlent que le mot autochtone occulte les disparités entre un Cri des Plaines, un Chiricahua, un Saulteaux, un Anishnabekwe, un Oneida, un Huron ou un Michipicoten...

PERFORMANCE DIMANCHE 

D'ailleurs, l'artiste Luke Parnell, d'origine à la fois haïda et nisga'a, en résidence à Stewart Hall, coupera dimanche en deux un totem de huit pieds qu'il a sculpté. Dans le cadre d'un projet relié à des totems erronément déplacés en Colombie-Britannique, il apportera, dans son sac à dos, la moitié de son totem de chez lui, à Prince Rupert, jusqu'au Musée d'anthropologie de Vancouver. Le totem sera ensuite déplacé vers un lieu inconnu, puis brûlé pour démontrer la richesse de son peuple qui ne craint pas de détruire ce qu'il a créé avec ardeur. 

Le musée McCord participe à la Biennale avec son exposition permanente Porter son identité - La collection Premiers Peuples. Il organisera, le 8 juin à 18 h, une table ronde sur le rôle des artistes dans la représentation cinématographique des cultures autochtones. Un débat opportun puisque cette biennale est dans l'air du temps, un temps inédit où respect et diversité se doivent d'être au menu. Dans l'espoir qu'un jour prochain, comme le dit Mike Patten, « les peuples autochtones et non autochtones cohabiteront dans la paix, avec considération et appréciation pour l'autre ». 

À la Guilde canadienne des métiers d'art, jusqu'au 18 juin :

https://www.guildecanadiennedesmetiersdart.com/index.php?newlang=french

À la galerie Art Mûr, jusqu'au 18 juin : https://artmur.com/

À la galerie d'art Stewart Hall, jusqu'au 26 juin : https://www.pointe-claire.ca/galerie-d-art-stewart-hall.html

Au musée McCord, projection et table ronde le 8 juin à 18 h : https://www.mccord-museum.qc.ca/fr/activites/biennale-dart-contemporain-autochtone-culture-shift-une-revolution-culturelle/

Photo Melissa General, fournie par la galerie Art Mûr

Nitéwakenon, 2016, de Melissa General, impression numérique

Photo Caroline Cloutier, fournie par la galerie d’art Stewart Hall

Vue de l’exposition présentée à la galerie d’art Stewart Hall de Pointe-Claire dans le cadre de la Biennale d’art contemporain autochtone. L’installation, au centre, est intitulée Modicum. Elle a été créée en 2014 par le collectif Leonard Getinthecar, formé des deux frères Nicholas et Jerrod Galanin.

LES AUTRES NOUVELLES

MICHÈLE LEMIEUX



Illustratrice, cinéaste d'animation et artiste visuelle, Michèle Lemieux fait actuellement l'objet d'une exposition, Michèle Lemieux - Le tout et la partie. Du dessin au film d'animation, à Paris. Mise en scène par la commissaire Angela Grauerholz, elle est à l'affiche du Centre culturel canadien jusqu'au 2 septembre. L'exposition sera ensuite présentée au Centre de design de l'UQAM, du 15 septembre au 30 octobre.

Au Centre culturel canadien à Paris, jusqu'au 2 septembre

https://www.canada-culture.org/evenement_event-fr.html?id=2948

JOËLLE MOROSOLI

Intéressée par le mouvement en tant que matériau depuis une trentaine d'années, l'artiste québécoise Joëlle Morosoli présente, jusqu'au 11 juin, une série de murales cinétiques sur la thématique des nuages, le vent déformant et reconstruisant des visages dotés d'expressions différentes. Une exposition à laquelle participe son partenaire Rolf Morosoli pour la réalisation technique des oeuvres.

À la galerie Éric Devlin, jusqu'au 11 juin

https://www.galeriericdevlin.com/