Le musée Reina Sofia de Madrid explore jusqu'en septembre l'univers de la création artistique au début du franquisme, entre propagande et résistance, donnant à voir la jeunesse de futurs maîtres de l'art contemporain.

Champ fermé. Art et pouvoir dans l'après-guerre espagnole, 1939-1953, inaugurée cette semaine, couvre les premières années de la dictature du général Francisco Franco (1939-1975), après la victoire de ses troupes sur celles du régime républicain lors de la guerre d'Espagne (1936-1939).

Elle fait suite à une exposition, en 2012-2013, sur l'art espagnol des années 1930, marqué par l'effervescence du régime républicain puis la guerre civile.

Parmi le millier de pièces exposées jusqu'au 26 septembre, certaines sont inédites et d'autres n'ont plus été exposées depuis les années 1970.

Celui-ci a rassemblé des tableaux, sculptures, dessins, photos, revues, films et maquettes d'époque signés par plus de 200 artistes dont les Espagnols Salvador Dali, Joan Miro et Pablo Picasso, prêtés par une centaine de collections et fonds publics et privés.

L'exposition dissèque la propagande du régime franquiste à travers des thèmes comme la reconstruction après trois ans de guerre ou l'exaltation du monde rural.

Cette période, marquée par la répression des opposants et l'isolement de l'Espagne, est «longue, et très complexe», note Manuel Borja-Villel, directeur du musée.

«Le cliché en vertu duquel il ne s'est rien passé pendant les années 1940 est facile à démentir», explique à l'AFP Maria Dolores Jiménez-Blanco, commissaire de l'exposition, qualifiant l'époque de «trou noir dans le monde historiographique».

Pendant ces années, «la volonté du régime de créer une culture, un art qui le représente», cohabitait avec «les éléments de résistance, l'exil», souligne Manuel Borja-Villel. Une période où franquistes et républicains se disputent aussi les symboles de la culture nationale, le folklore et le flamenco étant utilisés par les deux camps.

Exil et cohabitation

Plusieurs grands artistes durent aussi quitter l'Espagne, faute d'affinités avec le régime, comme le compositeur Manuel de Falla, exilé en Argentine, ou Picasso.

Une salle entière de l'exposition est consacrée aux toiles de l'artiste exilé en France et proche du Parti communiste, avec l'effrayante Femme assise dans un fauteuil gris peinte le lendemain de la fin de la République espagnole, le 1er avril 1939, ou une tête de mort sculptée en 1943.

«Picasso est une figure toujours présente d'une façon ou d'une autre» à l'époque, affirme Manuel Borja-Villel. «C'est à la fois une figure mythique pour les artistes d'avant-garde et un personnage détesté par le régime».

Miro, lui, retourne en Espagne en 1942. «Il reste à l'écart du régime de Franco. Il vit une sorte d'exil intérieur», déclare à l'AFP Maria Dolores Jiménez-Blanco.

Pendant ces premières années d'après-guerre, dit-elle, beaucoup de jeunes artistes qui lanceront leur carrière plus tard ont commencé à émerger, comme le peintre catalan Antoni Tapies ou le sculpteur Eduardo Chillida. Ils ont tous deux vécu brièvement à Paris.

C'est cette cohabitation que veut montrer le musée en exposant dans la même salle le jeune Tapies (1923-2012), opposé au régime, et Salvador Dali (1904-1989), plus âgé et sympathisant franquiste.

Une huile surréaliste, Parafaragamus de Tapies (1949), représentant l'intérieur d'une fleur contenant une salle carrelée où flottent de multiples objets et formes, côtoie un portrait peint par Dali en 1943 de l'ambassadeur d'Espagne dans la France de Vichy (régime collaborant avec les nazis) devant le monumental monastère espagnol de l'Escurial.

Le Reina Sofia organise en outre, jusqu'en juin, des projections de films d'époque et des conférences sur l'art espagnol dans les années 1940.