Embrassant principalement l'art non figuratif, la galerie L'Actuelle a fait les beaux jours de l'abstraction de 1955 à 1957. Fondée à Montréal par le peintre Guido Molinari et la journaliste Fernande Saint-Martin, ce haut lieu éphémère de l'art contemporain fait l'objet d'une publication et d'une exposition à la Fondation Guido Molinari jusqu'au 12 juin.

Trente et une expositions en deux ans! Pas mal pour une galerie qui n'a existé que du 28 mai 1955 au 19 mai 1957. L'idée de Guido Molinari était belle et courageuse, mais aussi généreuse, ambitieuse et tellement passionnée.

Quelques années après Refus global, le temps était encore et toujours à l'audace à Montréal. Le peintre de l'abstraction géométrique n'avait que 22 ans. Et il voulait déjà rassembler les artistes non figuratifs. Fallait-il avoir une fougue et le sens de l'histoire? «Dans sa galerie, Guido a fini par conforter tout le monde, car il exposait les Automatistes comme les Plasticiens», dit Gilles Daigneault, directeur de la Fondation Guido Molinari qui a eu l'idée, avec son adjointe Lisa Bouraly et l'historienne d'art Lise Lamarche, de sortir l'histoire de L'Actuelle de l'oubli.

Même si elle fut courte, l'existence de L'Actuelle a été un véritable acte fondateur qui confirma la solidité comme la diversité de l'école québécoise de l'abstraction. Ce fut la grande aventure de l'art contemporain des années 50, selon Noël Lajoie, le peintre et critique d'art du Devoir qui croisait alors régulièrement le fer avec Rodolphe de Repentigny, le critique de La Presse, lorsqu'ils couvraient tous les deux les expositions de la galerie créée au 278, rue Sherbrooke Ouest.

La Presse est d'ailleurs reliée à l'histoire de L'Actuelle. De Repentigny suggère l'ouverture d'une «galerie permanente pour expositions libres» dès mai 1953 dans sa chronique et le réitère par la suite. Quand, avec l'aide de quelques amis, Guido Molinari ouvre L'Actuelle deux ans plus tard, la journaliste Fernande Saint-Martin met la main à la pâte, mais aussi à son portefeuille, grâce à son salaire de La Presse.

Compléter Agnès Lefort

En 1955, à Montréal, seule la galerie d'Agnès Lefort exposait des artistes d'avant-garde canadiens et étrangers. Mais pas tous! Mme Lefort avait par exemple refusé la dernière production de Jean McEwen. Il pourra toutefois exposer ses monochromes blancs en solo à L'Actuelle du 6 au 26 novembre 1956, indique l'historienne Lise Lamarche dans la publication de 144 pages qui accompagne l'exposition (L'Actuelle, publiée aux éditions du passage par Lise Lamarche, Gilles Daigneault et Lisa Bouraly).

L'exposition inaugurale (du 28 mai au 21 juin 1955) présenta des oeuvres de 20 artistes dont Jean Paul Riopelle, Paul-Émile Borduas, Fernand Leduc, Rita Letendre, Claude Tousignant, Jean-Paul Jérôme, Fernand Toupin, Ulysse Comtois, Jean Goguen, Jean-Paul Mousseau et bien sûr Guido Molinari. Signe de la générosité de ce dernier, la première expo était organisée au bénéfice de l'oeuvre théâtrale de Claude Gauvreau.

Photographie expérimentale

Si L'Actuelle exposait surtout des huiles, des gouaches, des aquarelles, des caséines sur carton et des encres sur papier, la galerie organisa aussi la première exposition collective d'oeuvres photographiques expérimentales à Montréal. Les photos provenaient de photographes, mais aussi d'artistes tels que le graveur Albert Dumouchel, les peintres Jauran et Jean-Paul Mousseau ou encore l'affichiste Vittorio.

L'exposition installée jusqu'au 12 juin à la Fondation Guido Molinari présente au moins une oeuvre de chacune des 31 expos de L'Actuelle. «Ce sont toutes des oeuvres qui, après avoir été exposées à L'Actuelle, ont fait partie de grandes expositions, notamment dans des musées», dit Lisa Bouraly. Plusieurs d'entre elles appartiennent d'ailleurs à des musées tels que le Musée national des beaux-arts du Québec, le Musée d'art contemporain de Montréal et le Musée des beaux-arts de Montréal. Mais aussi à des collections particulières, comme celle d'Hydro-Québec ou de Marc Bellemare.

L'ouvrage L'Actuelle est bien utile quand on visite l'expo à la Fondation Guido Molinari. Y sont reproduites côte à côte les oeuvres exposées sur les deux étages et les photos de ces mêmes oeuvres accrochées sur les murs de la galerie L'Actuelle. On peut ainsi retrouver le contexte de l'exposition originelle et bien des artistes et des personnalités qui fréquentèrent la galerie lors des vernissages, dont l'ex-premier ministre René Lévesque.

Lise Lamarche, Gilles Daigneault et Lisa Bouraly ont passé plus de deux ans à mettre en forme cette exposition historique et le livre qui l'accompagne. Soit plus de temps que la brève existence de L'Actuelle, sorte de météorite de l'art figuratif dont la traînée lumineuse a laissé un avatar... la Fondation Guido Molinari.

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L'Actuelle, une galerie d'art non figuratif 1955-1957, à la Fondation Guido Molinari (3290, rue Sainte-Catherine Est, Montréal), jusqu'au 12 juin.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Fête embrouillée, 1954, Paul-Émile Borduas, aquarelle sur papier, 35,5 cm x 43,2 cm. Collection galerie L'Harmattan.

Autres expos

Alexis Bellavance et Sophie Cardin

À Saguenay, le centre d'art actuel Bang présente jusqu'au 22 avril une double exposition installative franco-québécoise avec les oeuvres du Montréalais Alexis Bellavance et de la Française Sophie Cardin. Le premier expose son installation L'échelle des amas, sorte de tableau-sculpture animé par une aération. La seconde présente À venir?, deux pièces sculpturales évoquant notre époque où nous faisons des choix pas toujours rationnels...

Au centre d'art actuel Bang (132, rue Racine Est, Saguenay), jusqu'au 22 avril.

Kai McKall

Le peintre montréalais Kai McKall a confié ses sept dernières toiles à la galerie St-Laurent + Hill d'Ottawa, où il les expose jusqu'au 13 avril. On y retrouve sa fascination pour la peinture de la Renaissance combinée à un regard sur le colonialisme, l'Amérique des années 20 et la représentation croissante des animaux dans l'iconographie, notamment dans la pub.

Conversations with animal, à la galerie St-Laurent + Hill (293, rue Dalhousie, Ottawa), jusqu'au 13 avril.

Une oeuvre expliquée

Ayant pour mission de faire connaître l'art québécois, la série Une oeuvre expliquée du Musée national des beaux-arts du Québec a remporté, la semaine dernière, le Prix du public web-arts au 7e Web Program Festival de Paris, un rendez-vous de créateurs du web. Voici une des 11 capsules de cette série dans laquelle on retrouve l'humoriste Katherine Levac et la conservatrice de l'art moderne au musée, Anne-Marie Bouchard.

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