Peintre inclassable, le Douanier Rousseau ne se situe pas pour autant en dehors de l'histoire de l'art: s'inscrivant dans une lignée archaïque, il est en même temps une référence pour Picasso, l'italien Carlo Carra et même Kandinsky. Illustration avec une exposition au Musée d'Orsay, à Paris.

«Cette exposition tire un fil qui part des images populaires, des artistes de la pré-Renaissance, et qui arrive, à travers le Douanier Rousseau, jusqu'aux années 30, avec le Réalisme magique italien (Carra, Antonio Donghi) et la Nouvelle Objectivité allemande», explique Beatrice Avanzi, une des commissaires de L'innocence archaïque (22 mars-17 juillet).

«Rousseau est certes un artiste singulier, autodidacte, qu'on a qualifié de «peintre du dimanche», mais nous avons voulu montrer qu'il est aussi un créateur de son temps. L'exposition n'est pas une monographie classique», ajoute-t-elle.

Henri Rousseau, surnommé «le Douanier» par son ami Alfred Jarry parce qu'il travaillait à l'octroi de Paris, n'avait pas reçu de formation classique. Il commet des maladresses, des erreurs de perspective ou d'anatomie.

Jamais accepté par un salon officiel, «il admirait les peintres académiques, notamment Bouguereau pour la qualité de sa chair», souligne Claire Bernardi, autre commissaire. Il s'inspira d'Égalité devant la mort de Bouguereau pour peindre La guerre, un de ses chefs d'oeuvre.

«Inimitable»

Quant aux primitifs italiens, comme Paolo Ucello ou Carpaccio, difficile de savoir l'influence qu'ils ont pu exercer sur lui, même s'il avait une carte de copiste du Louvre. Mais une ligne stylistique le relient à eux.

«On m'a déjà dit aussi que je n'étais pas de notre siècle. Je ne pourrai pas changer ma manière que j'ai acquise par un travail opiniâtre», écrit Rousseau à un critique.

Pourtant il avait des liens avec des artistes de son temps: Georges Seurat et Paul Signac, qui l'ont soutenu, Robert Delaunay, Paul Gauguin, qui jugeait «inimitable» son noir profond, et surtout Picasso, qui a collectionné ses oeuvres - quatre d'entre elles sont présentées dans l'exposition.

Deux natures mortes, l'une de Rousseau, l'autre de Cézanne, cotoient Les pains de Picasso. «On retrouve chez lui la simplification géométrique des peintres cubistes et en même temps la frontalité, le travail en aplats présents chez Donghi ou Giorgio Morandi», explique Beatrice Avanzi.

La proximité d'inspiration avec Carlo Carra est évidente dans les portraits. «Tout est revenu comme aux âges primordiaux, Et je construis avec Henri Rousseau la nouvelle peinture européenne», a écrit l'artiste italien.

Même cousinage dans l'attention à l'étrange banalité des lieux. Chez Rousseau, qui aime beaucoup les abords de Paris, tout semble figé, et parfois très mystérieux (Maison de banlieue). On a l'impression qu'il a assemblé des jouets dans une boîte, a dit un critique.

Plus surprenante est l'influence de Rousseau sur Wassily Kandinsky, qui acquiert deux de ses toiles - dont La basse-cour - et illustre de sept des oeuvres un essai publié dans l'almanach du mouvement Blaue Reiter (Le cavalier bleu) qu'il dirige avec Franz Marc et Paul Klee.

L'exposition réunit en fin de parcours une impressionnante série de tableaux de jungle, où Rousseau s'affirme comme un artiste accompli. «Le plus exotique des peintres exotiques», selon Apollinaire, n'a jamais quitté Paris et trouve son inspiration par des visites au Jardin des plantes, la consultation d'albums d'animaux sauvages, et sans doute les toiles de combats de bêtes féroces, un genre illustré par Delacroix et Géricault.

De grand format, jouant sur le clair-obscur, avec des détails parfois précieux - des critiques parlent de tapisserie -, ces toiles nostalgiques évoquent un paradis perdu. Certaines sont particulièrement mystérieuses comme Joyeux farceurs ou ambiguës tel Cheval attaqué par un jaguar.

Les Jungles vont exercer une grosse influence sur le surréalisme, comme en témoignent «Jardin peuplé de chimères» de Max Ernst ou La rencontre du 2bis, rue Perrel de Victor Brauner.