La galerie Antoine Ertaskiran aime les défis de compatibilité. Le dernier qu'elle s'est donné a été d'associer les oeuvres du plasticien français Renaud Auguste-Dormeuil et du Montréalais Mathieu Beauséjour, qui y déclinent tous deux notre fascination pour l'inconnu. Pari réussi.

Deux éléments frappent le regard en entrant ces jours-ci dans la galerie d'Antoine Ertaskiran. D'abord, l'installation au sol de Renaud Auguste-Dormeuil qui occupe la presque totalité du plancher de la salle principale. Et puis, le néon électrique de couleur rouge, l'amour de l'inconnu, de Mathieu Beauséjour, qui semble veiller sur l'oeuvre du Français.

Si Renaud Auguste-Dormeuil s'intéresse particulièrement au thème de la liberté en démocratie, et de ses limites, son oeuvre circulaire When the paper... (en anglais, bien sûr) est d'un autre registre. S'inspirant du rituel japonais du sanctuaire Jishu, elle aborde la fascination populaire de confier à des instances supérieures et inconnues le soin de s'occuper de nos soucis.

Offrandes à l'inconnu

L'oeuvre When the paper... est constituée d'un large cercle en terre brune au centre duquel chaque visiteur peut se rendre pour aller déposer dans un seau d'eau un papier sur lequel il aura écrit quelques mots pour se libérer en quelque sorte... de ses maux. Le cercle comme lieu de rassemblement, le seul passage en tant qu'unique chemin, l'autel comme lieu d'offrandes et de croyance.

Dans le seau de bois, l'encre imprégnée sur les petits bouts de papier se dissout, faisant disparaître ces peines et ces souffrances qui lui ont été confiées par des inconnus qui ne demandent souvent que plus d'amour et de bien-être.

Sur un mur, Renaud Auguste-Dormeuil a développé une autre sorte de fascination. Celle pour l'art. Il a accroché l'un des tirages de sa série Les collectionneurs, des portraits de collectionneurs d'art contemporain français photographiés dans un environnement qu'ils ont choisi. 

Pour chaque portrait, l'artiste de 47 ans a coupé une partie de la photo de telle sorte que le visage du collectionneur manque. Disparition du visage, donc perte de référence sur l'âge de l'amateur d'art et sur son identité qui ne se révèle plus que par les objets que l'on distingue autour de lui. Dans le cas du tirage #24.2, le collectionneur donne des indices sur ses propres goûts avec une oeuvre d'art représentant un crâne humain. 

On retrouvera Renaud Auguste-Dormeuil le 15 juin prochain à Montréal. Il viendra de nouveau installer à la Fonderie Darling les 500 bougies de son oeuvre I Will Keep a Light Burning, dont la présentation dans le cadre de Nuit blanche, le 27 février dernier, avait été annulée par la faute d'un vent fripon.

Gais d'arrière-salle

En parallèle à sa double expo Les formes politiques, en vedette au Musée des beaux-arts de Montréal jusqu'au 12 juin, Mathieu Beauséjour poursuit sa réflexion sur les marges avec l'amour de l'inconnu. Son néon rouge, greffé en haut d'un mur de la salle principale, est une invitation à entrer dans le plus petit espace de la galerie, situé en arrière.

On comprend que cette «back room» réfère aux backrooms (ou darkrooms) des clubs homosexuels, où l'amour de l'inconnu s'épanche sans retenue. Mathieu Beauséjour a décliné cet aspect de la vie homosexuelle en vogue surtout dans les années 70 et 80, avant que l'arrivée de l'épidémie de sida n'en freine les démesures.

Dans la petite salle, il a accroché des oeuvres diverses (photo, dessins, installation) évoquant l'ambiance particulière de la culture BDSM (acronyme des expressions Bondage and Discipline [BD], Dominance and Submission [DS] et Sadism and Masochism [SM]). 

La photographie Birds of Pray montre les silhouettes de quatre gars virils, baraqués, très «cuir», avec leurs traditionnelles casquettes de motard noires dotées d'un aigle aux ailes déployées comme écusson. Cet aigle de la domination revenant comme un leitmotiv chez Mathieu Beauséjour et que l'on retrouve sur les pièces de monnaie de son expo Les formes politiques.

Une installation murale, poem for a back room, présente également une série de mots écrits avec des morceaux de ruban à masquer sur du papier noir. Des mots de quatre lettres, tous reliés aux backrooms, tels que bondbootfuck ou dick. Évoquant tous une fascination certaine pour la pénombre, le risque et l'inconnu...

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À la Galerie Antoine Ertaskiran (1892, rue Payette, Montréal), jusqu'au 26 mars.

PHOTO PAUL LITHERLAND, FOURNIE PAR LA GALERIE ANTOINE ERTASKIRAN

Vue de l'installation When the paper..., de l'artiste français Renaud Auguste-Dormeuil et du néon de Mathieu Beauséjour, l'amour de l'inconnu, présentés à la galerie antoine ertaskiran jusqu'au 26 mars.

Autres expos

DONALD BROWNE: LAST CALL

Galeriste de la curiosité et du contenu, Donald Browne fermera sa galerie de l'édifice Belgo à la fin du mois. Pour marquer ses dix ans de célébration des arts visuels, il présente une dernière expo avec des oeuvres de «ses» artistes. Intitulée Conversation Piece, l'exposition se présente sous la forme d'un salon d'art qui favorise les discussions et les échanges auprès d'oeuvres de Sara A. Tremblay, Raymonde April, John Francis, Jérôme Havre, Jim Holyoak, Mark Igloliorte, Valérie Kolakis, Suzy Lake, Lynne Marsh ou encore Jérôme Ruby. Bonne chance Donald Browne!

À la galerie Donald Browne (372, rue Sainte-Catherine Ouest, #528, Montréal), jusqu'au 31 mars.

JAMES KENNEDY

L'artiste montréalais James Kennedy présente les photographies sur acier et les sculptures d'acier découpé de ses séries Continents et Bridges à l'Alliance française de Toronto jusqu'au 2 avril. Il participera également au festival de photo Contact, dans la Ville Reine, les 8 et 9 mai. Et l'on peut également voir certaines de ses oeuvres - dont son Pont Jacques-Cartier - dans la télésérie radio-canadienne Ruptures, notamment dans le bureau d'Ariane Beaumont jouée par Mélissa Désormeaux-Poulin!

À l'Alliance française de Toronto (24, Spadina Road, Toronto), jusqu'au 2 avril.

KARINE GAGNÉ

Autodidacte douée, Karine Gagné photographie des paysages qu'elle transfère sur de l'aluminium brossé, avec une profondeur et une texture qui rappellent le 3D et le daguerréotype. Pour son exposition présentée jusqu'au 27 mars à la galerie Art Plus de Sutton, elle a privilégié des oeuvres selon un tour d'horloge précis, défini en parcourant une série de lieux visités, tels que le Québec, la Colombie ou le Costa Rica.

À la galerie Art Plus (8, rue Maple, Sutton), jusqu'au 27 mars.