C'est un ballet présenté comme une exposition, en continu pendant 9 heures par jour au Centre Pompidou à Paris: Anne Teresa de Keersmaeker propose Work/Travail/Arbeid, avant la Tate Modern à Londres et le MoMA à New York.

Pour le spectateur, l'expérience est unique: il peut avec son billet du musée d'arts modernes entrer et sortir, évoluer dans la grande salle vitrée autour des danseurs et des musiciens, changeant d'angle de vision à sa guise.

Surtout, il pénètre dans le processus de création d'une des plus grandes chorégraphes contemporaines. À 55 ans, Anne Teresa de Keersmaeker est au sommet de son art. Sa danse s'est dépouillée, alternant la plus extrême simplicité - la marche par exemple - et une organisation très géométrique des danseurs dans l'espace.

La chorégraphe belge présente ce travail en collaboration avec l'Opéra de Paris, qui fait ainsi une rare sortie «hors les murs».

«Les circonstances sont complètement différentes (de la salle classique): on est dans la journée, on n'est plus dans le noir du théâtre où l'espace avec les spectateurs est fixe. Là le spectateur peut organiser son temps et son espace comme il veut, il peut aller tout près, s'éloigner, rester une heure comme deux minutes, il peut revenir et ce qui se déploie devant lui change constamment», explique-t-elle.

La proximité avec les danseurs, qui sont au même niveau que le public, «crée un autre rapport, invite un autre public à une autre perception de la danse et de la musique», ajoute-t-elle, «c'est un espace plus dynamique».

La galerie sud du Centre Pompidou, entièrement vitrée, offre un espace magnifique aux danseurs vêtus de blancs. Le regard s'ouvre vers la place et la fontaine Stravinsky, les passants peuvent voir le ballet du dehors.

Sortir de la black box du théâtre

Créé au Centre d'art contemporain WIELS de Bruxelles, la pièce est réadaptée pour chaque nouveau musée (Centre Pompidou du 26 février au 6 mars, Tate Modern du 8 au 10 juillet, MoMA du 25 mars au 2 avril 2017).

Sa matrice d'origine est le ballet Vortex Temporum créé en 2013 par la chorégraphe sur la musique du compositeur français Gérard Grisey. «J'ai écrit la chorégraphie couche par couche. Et en travaillant sur une trame géométrique au sol qui est un cercle, basé sur un pentagone, des cercles qui s'étalent et qui se condensent», décrit Anne Teresa de Keersmaeker à propos de la pièce.

«Dans la black box du théâtre, on voit toutes les couches ensemble, et ici on les déploie dans le temps et on les voit séparées, avec toutes les combinaisons possibles», explique-t-elle. Les sept danseurs vont évoluer par petits groupes à géométrie variable. Deux équipes sont prévues sur les 9 heures de cycle quotidien, soit 14 danseurs. Les six musiciens de l'ensemble Ictus jouent live.

L'oeuvre «contient beaucoup de paramètres sur lesquels j'ai travaillé pendant trente ans», souligne la chorégraphe: «le travail dans la lenteur, les modèles géométriques, le rapport à la musique, la présence du cercle, la marche comme étant le mouvement le plus quotidien et en même temps le départ d'une danse possible».

La marche est un motif récurrent: «My walking is my dancing», aime-t-elle dire.

Avec ce ballet-exposition, le spectateur entre dans le vif du processus de création puisque le ballet «déconstruit» sa matrice, Vortex Temporum.

«Je travaille très lentement, mesure par mesure, pas par pas, et l'idée était de montrer quel est ce travail dans la durée. Montrer la trame du travail (...), l'intensité purement physique du travail du danseur».