Le peintre montréalais Marcel Barbeau s'est éteint samedi à l'âge de 90 ans. Signataire de Refus global, le peintre automatiste a marqué la scène picturale canadienne avec une oeuvre abstraite, énergique et multidisciplinaire, sans cesse renouvelée mais louangée tardivement.

Marcel Barbeau était encore à son atelier récemment. Il s'y rendait d'un petit pas lent, peu assuré. À des années-lumière, bien sûr, de la fougue de ses performances qui mêlaient peinture et danse dans les années 70. Même affaibli par la maladie, au cours des derniers mois, Marcel Barbeau avait conservé la même passion pour ses toiles.

« Peindre, ce n'est jamais un travail, c'est un besoin, disait-il en 2013 au réalisateur Luc Bourdon quand il reçut le prix du Gouverneur général du Canada. Ce qui m'intéresse, c'est de toujours garder un côté magique dans ce que je fais. Quand l'oeuvre me surprend, c'est comme un cadeau. La volonté disparaît alors complètement pour laisser place à la joie. »

Homme joyeux, Marcel Barbeau? Il disait en octobre 2015 à La Presse qu'il avait essayé de transmettre de la joie mais qu'il avait dû affronter bien des épreuves personnelles et professionnelles dans sa vie.

Né le 18 février 1925 à Montréal, Marcel Barbeau a été orphelin de père à l'âge de 3 ans. Il a alors été élevé par son oncle, épicier et boucher sur le Plateau Mont-Royal. Comme son père était menuisier, sa mère l'a envoyé, de 1942 à 1947, étudier à l'École du meuble de Montréal.

Borduas, le déclic

Recevant une formation d'artisan, il aperçoit, un jour de 1944, le peintre Paul-Émile Borduas donner un cours de dessin. Il découvre alors l'art moderne. Fasciné, sa voie est tracée. Il se met à lire les surréalistes, fréquente Pierre Gauvreau, Fernand Leduc, Jean Paul Riopelle, Guy Viau, Jean-Paul Mousseau, tous disciple de Borduas, ce mentor qui lui a apporté beaucoup, de 1944 à 1953.

En 1945, après que Riopelle eut vu ses toiles détruites par sa famille plutôt conservatrice, il l'invite à venir peindre dans son atelier « de la Ruelle » créé dans le hangar d'un voisin, près de la rue Saint-Hubert. Mousseau se joint à eux de temps en temps. Ils font leurs premiers pas dans l'expressionnisme abstrait.

Marcel Barbeau se met à peindre, avec spontanéité, des tableaux abstraits « vus de plus haut », comme il disait, « pleinement réalistes et de notre époque ». Membre junior de la Société d'art contemporain de Montréal, créée en 1939 par John Lyman, Barbeau y expose de 1945 à 1948 avec notamment Léon Bellefleur, Leduc, Riopelle et Gauvreau.

En 1948, il se marie avec la poétesse Suzanne Méloche puis se joint à ses camarades pour signer Refus global. Le manifeste provocateur comprend une reproduction d'une de ses sculptures, Coquille évoluée des mers brûlantes. À la suite de la sortie de Refus global, les automatistes vivent une période de vaches maigres. On leur ferme souvent les portes des galeries.

En 1951, Marcel Barbeau expose à Ottawa, Québec et New York où il rencontre Franz Kline. Puis, sa femme quitte le nid familial en 1952. Il la laisse partir, mais la blessure fait mal et mettra du temps à guérir. Il quitte alors Montréal pour commencer de fréquents séjours à l'extérieur.

De 1952 à 2008, Marcel Barbeau aura vécu dans différentes régions du Québec mais aussi à Vancouver, Paris, New York et en Californie, exposant, travaillant et recherchant chaque fois l'inspiration et de nouvelles expressions artistiques.

Se renouveler aura été la quête permanente de cet artiste curieux, entêté, assoiffé d'expérimenter et de toucher un large public. Marcel Barbeau a été à la fois peintre et sculpteur, mais il a aussi touché à la photographie, à l'estampe, à la performance, au dessin, au collage, ne considérant aucune frontière entre les différents arts et tentant de les traduire dans un langage pictural, graphique ou sculptural.

Lui qui avait rêvé d'être danseur ou violoniste, il aura collaboré à maints projets de danse, de musique et de poésie. Et il aura beaucoup dansé en peignant. Dans le film de sa fille Manon Barbeau Libre comme l'art, on le voit peindre en dansant sur une grande toile avec un bâton imprégné d'acrylique alors qu'il est accompagné par un rythme de batterie assourdissant.

Jaillissante était sa peinture, gestuel et intuitif était son style. Une recherche d'harmonie avec pour seul guide le désir. « C'est le geste qui compte, disait-il. On ne doit pas essayer le résultat tout de suite. »

Libertaire avoué, Marcel Barbeau demeurera un artiste complexe, parfois obscur, parfois déprimé (de 1983 à 1987), mais aussi souvent rieur et plaisantin quand il improvisait de la musique en chantant. Sa vie mouvementée est évoquée dans le livre La femme qui fuit, écrit par sa petite-fille, la cinéaste Anaïs Barbeau-Lavalette. Elle résume bien l'homme qu'il a été :

« Marcel a une présence précise. En tout terrien. Rien d'évanescent. Il est violemment ancré, et pourtant resté insaisissable, profondément secret. Il est effilé et se meut avec finesse. Il voudrait être l'ombre, mais capte malgré lui la lumière, qui se vautre paresseusement sur son corps anguleux. Derrière la pâleur de sa peau, un abîme de tendresse. Marcel est un être de verre. »

>> Voyez le documentaire Les enfants de Refuf global de Manon Barbeau

>> Voyez le documentaire de l'ONF Barbeau, libre comme l'art, de Manon Barbeau

>> Lisez la dernière critique des oeuvres de Marcel Barbeau publiée dans La Presse

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Marcel Barbeau avec Paul Guérin-Lajoie, lors de la réception du prix Paul-Émile-Borduas en 2013.

Photo Martin Lipman, archives La Presse canadienne

Marcel Barbeau, en 2013, quand il a reçu le prix du Gouverneur général du Canada.