Architecte devenu sculpteur, Victor Ochoa a commencé à créer des oeuvres monumentales dans les années 90. On en trouve en Espagne, au Mexique, au Venezuela et en Équateur. Elektra est son premier projet canadien.

Un projet élaboré par Michel Beaulac, directeur artistique de l'Opéra de Montréal, qui avait découvert, il y a cinq ans en Espagne, El Zulo, un immense bronze d'Ochoa créé pour rendre hommage aux victimes de l'attaque terroriste survenue à Madrid en 2004. Michel Beaulac a tout de suite voulu collaborer avec le sculpteur pour qu'il crée un Agamemnon monumental pour Elektra. La Presse a rencontré le directeur et le sculpteur.

M. Beaulac, la découverte d'El Zulo, à Carthagène, a tout déclenché?

Michel Beaulac: Yannick Nézet-Séguin m'avait dit être intéressé à diriger Elektra. On avait trouvé les dates. Et puis, j'ai découvert l'univers monumental de Victor Ochoa lors d'un voyage en Espagne. Il correspond tellement aux sentiments qu'on retrouve dans Elektra, une oeuvre gigantesque, émouvante et à l'orchestration tellement vaste, que j'ai proposé à la direction de l'Opéra de Montréal de faire appel à lui pour la scénographie.

M. Ochoa, il s'agit de votre première collaboration avec une compagnie d'opéra?

Victor Ochoa: Oui. Quand Michel m'a parlé d'une collaboration avec l'Opéra de Montréal, je lui ai dit que j'étais peut-être un grand sculpteur, mais que mes oeuvres étaient faites pour durer et que je n'avais jamais fait de scénographie. Mais Michel m'a dit: «Ne t'inquiète pas ! Fais ce que tu sais faire. Ta sculpture, nous la convertirons en une scénographie, comme une genèse de la création d'Elektra

Où avez-vous créé la sculpture?

Victor Ochoa: En Espagne.

Comment s'est déroulée la création?

Victor Ochoa: Au début, j'ai fait des esquisses pendant deux ans pour étudier la position d'Agamemnon. Puis, il y a eu un travail artisanal pour créer la sculpture, mais on n'aurait pas pu la transporter de l'Espagne à Montréal. On a donc fait un prototype (en résine et en marbre) qu'on montre dans la salle d'exposition de l'Espace Georges-Émile-Lapalme de la Place des Arts. L'oeuvre adaptée à l'opéra a, elle, été créée par numérisation et impression en 3D. Elle est faite d'une sorte de plastique très léger, ce qui permet de la monter et de la démonter. Cela a pris dix imprimantes 3D pendant six mois pour fabriquer chaque morceau.

Quelle est sa taille?

Victor Ochoa: Elle fait 7,5 m, mais si Agamemnon se mettait debout, elle ferait 20 m!

Michel Beaulac: Cela a représenté un travail aussi élaboré que celui d'Eiffel et Bartholdi pour la statue de la Liberté: il y a une structure en aluminium à l'intérieur, très complexe, sur laquelle on a fixé comme une peau en matière plastique.

M. Ochoa, vous avez représenté Agamemnon accroupi, le genou à terre avec ses bras entourant son corps pour se protéger. Il est humain. Fort et fragile en même temps...

Victor Ochoa: Oui, même s'il est difficile de savoir comment était Agamemnon. D'habitude, l'opéra choisit d'actualiser une histoire ancienne. Moi, j'ai fait le contraire. En Agamemnon, je ne vois pas l'homme classique, mais l'homme à ses origines. Quand il est incapable de lutter contre la trahison et l'ambition.

Elektra est une oeuvre sombre et puissante qui semble totalement adaptée à votre type de sculpture...

Victor Ochoa: Je pense qu'on m'a choisi parce que mes sculptures ont un aspect dramatique et humain.

C'est un des plus grands projets de votre carrière?

Victor Ochoa: De ma vie!

Vous avez travaillé avec Michel Beaulac, avec le metteur en scène Alain Gauthier et le chef Yannick Nézet-Séguin?

Victor Ochoa: C'est Michel Beaulac qui nous a connectés, pour que chacun tienne compte du rôle des autres.

Comment avez-vous établi la relation entre la sculpture et les chanteurs?

Victor Ochoa: Par intuition! Il y a dans ce projet une partie très téméraire. La scénographie fait en sorte que le monde alentour disparaît, car tout est au milieu de la scène.

Michel Beaulac: J'ai rarement vu une équipe de chanteurs aussi enthousiastes et «dédiés». Aussitôt qu'ils ont vu et travaillé avec ce géant au centre de l'action, ils ont été amoureux de l'oeuvre.

Cette statue pourrait-elle se retrouver en Espagne avec la production d'Elektra?

Victor Ochoa: Elektra est un opéra créé pour voyager. Je pense qu'il va susciter des invitations à le jouer ailleurs.

Michel Beaulac: Il est possible qu'Elektra soit présenté en Espagne. Je vais envoyer une vidéo de la production au directeur du Teatro Real de Madrid, Joan Matabosch. Sinon, des gens de deux villes du Canada et des États-Unis sont intéressés par cette idée d'une sculpture monumentale. C'est tellement différent de ce qui se fait d'habitude.

La sculpture, qui appartient à l'Opéra de Montréal, sera-t-elle exposée par la suite, après la présentation d'Elektra?

Michel Beaulac: Nous allons essayer de la présenter ici en mai. On pourra peut-être l'exposer à l'occasion du 375e anniversaire de Montréal. On souhaite qu'elle renaisse ailleurs, qu'elle ait une deuxième vie, une troisième vie et, bien sûr, qu'elle soit présentée en Espagne.

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À la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts les 21, 24, 26 et 28 novembre.