Arrivés dans nos vies il y a quelques années, ils sont aujourd'hui partout. «Ce n'est pas normal de constamment regarder un écran», explique Eric Pickersgill, lui-même accro à son téléphone intelligent. Le photographe américain a voulu illustrer cette dépendance en «effaçant» les écrans de la vie de tous les jours. La Presse l'a interviewé.

Q: Qu'est-ce qui vous a donné l'idée d'entreprendre ce projet?

R: L'an dernier, j'étais dans un café à Troy, dans l'État de New York, quand mon attention a été attirée par une famille assise à la table d'a côté. Le père, la mère et leurs deux filles regardaient leur téléphone. Le père a levé les yeux pour parler d'un gros poisson que quelqu'un avait pêché. Personne ne réagissait. J'ai été frappé par la tristesse de la scène. Je n'ai pas fait de photo, mais l'idée est restée.

Q: Êtes-vous vous-même accro à votre téléphone?

R: Oui, malheureusement. Après avoir vu la scène de la famille, je me suis promis de ne plus regarder mon téléphone constamment. Ça n'a pas duré. Un soir, j'étais au lit avec ma femme et je consultais mon téléphone. Je me suis endormi, le téléphone est tombé par terre et ma main est restée figée, comme si je tenais toujours l'appareil. Ç'a été un déclic. Ce n'est pas normal de constamment regarder un écran, et les images de mon projet nous le montrent.

Q: Comment avez-vous fait pour retirer les téléphones et tablettes des photos?

R: Je demandais aux gens si je pouvais les prendre en photo, je leur disais de garder la pose et j'allais prendre leur téléphone. Parfois, les gens étaient si absorbés par leur téléphone qu'ils me disaient: «Je ne t'ai même pas entendu arriver avec ton appareil photo géant!» J'ai utilisé un vieil appareil photo de studio grand format 4 po sur 5 po. Certaines images sont aussi des mises en scène.

Q: Vos photos sont rapidement devenues virales sur le Net.

R: Oui, et c'est ironique: je fais un projet critique sur la question de l'accès du contenu en ligne, et je contribue moi-même à ce contenu... Mon objectif n'est pas de condamner les nouvelles technologies, mais plutôt de créer un dialogue, de permettre aux gens d'avoir cette prise de conscience sur la façon dont leur utilisation du téléphone est vue de l'extérieur. Ça agit comme un miroir.

Q: Le projet vous a-t-il permis de vaincre votre dépendance?

R: C'est «un pas en avant, deux pas en arrière». Au début du projet, ma femme et moi avons banni les téléphones de la chambre à coucher, et l'un de nous lisait un livre à voix haute le soir avant de dormir. Le livre terminé, nous avons repris nos habitudes... Je sais que j'ai une dépendance: quand je suis à l'extérieur avec des gens, je me surprends à mettre la main dans ma poche pour être sûr que mon téléphone est toujours là. C'est réconfortant, c'est bizarre. Et comme mon projet est devenu populaire, mon téléphone vibre et fait des bruits dès que quelqu'un m'écrit ou «aime» quelque chose, alors la curiosité d'aller voir est forte. Les jours où moins de gens viennent sur mon site, je commence à me sentir déprimé. C'est fou. Je crois que ce projet m'a rendu encore plus dépendant à mon téléphone.

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Le site du projet Removed: www.removed.social

PHOTO FOURNIE PAR ERIC PICKERSGILL