Au pays de la «mamma» révérée, quoi de plus naturel que de consacrer une exposition à la maternité, à la «Grande Mère» nourricière, dont la puissance créatrice a longtemps occulté celui de la femme, libre de son corps et de ses désirs.

Sur une idée de la Fondation Nicola Trussardi, l'exposition La Grande Madre, qui ouvre mercredi au Palazzo Reale de Milan, présente plus de 400 oeuvres de près de 140 artistes du XXe siècle de renommée internationale, dont les trois quarts féminins, sur ce thème universel.

De l'avant-garde futuriste, dadaïste et surréaliste aux artistes féministes des années 1970 à 1990, en passant par tous les combats de libération du corps et de la sexualité mais également par ceux de l'émancipation politique et économique, l'exposition retrace sur 2000 m2 l'iconographie de la figure de la mère, mais aussi de la femme, à travers tableaux, photos, installations, journaux, affiches, collages, vidéos...

Sont présentes les plus grandes: Frida Kahlo, Cindy Sherman, Yoko Ono, Louise Bourgeois, Dora Maar, Lee Miller, Annette Messager, Niki de Saint-Phalle... mais également leurs confrères parmi les plus créatifs: Marx Ernst, Marcel Duchamp, Salvador Dali, Man Ray, Francis Picabia, Edvard Munch, Jeff Koons, Maurizio Cattelan...

D'où une exposition très dense, presque encyclopédique, qui débute par une section consacrée aux idoles, matrones, Vénus et autres divinités préhistoriques, toutes ces images qui, dans chaque civilisation, des plus primitives aux plus évoluées, ont sacralisé l'image de la mère.

La mère est certes perçue comme génitrice - elle est également l'image de la mère patrie - mais également comme nourricière: La Grande Madre se tient en parallèle de l'Exposition universelle voisine, qui explore depuis le 1er mai le thème de l'alimentation.

À l'image de l'Artémis d'Ephèse et de ses nombreuses paires de mamelles, de la Déesse Mère qui dispense les fruits de la terre, la femme est celle «qui offre deux dons au monde, celui de la vie et celui de la nourriture», a rappelé en conférence de presse Domenico Piraina, directeur du Palazzo Reale.

Le piège de la famille

Mais la femme n'est pas que mère, a souligné Massimiliano Gioni, le commissaire artistique de l'exposition, qui s'exprimait depuis New York... où sa femme venait d'accoucher.

«Le cliché le plus répandu, et à mon sens le plus dangereux, serait de dire que la femme joue un rôle passif dans l'histoire de l'art», à l'image des poupées, allégories de la femme-objet, a-t-il expliqué.

Il est vrai qu'au cours du XXe siècle, les stéréotypes s'enchaînent, «celui de la femme fatale et celui de la muse», mais la révolution sexuelle des années 1970 a proposé une autre voie aux femmes: celle de la liberté d'user de leur corps et donc de refuser la sacro-sainte maternité, a-t-il ajouté.

C'est pourquoi une grande partie de l'exposition évoque ces femmes qui «cherchent à fuir l'oppression qui les attend, celle de faire des enfants», ce piège tendu par la famille, la société, la tradition, a insisté M. Gioni, évoquant «une certaine critique du matriarcat et non une attaque contre la maternité».

«Il n'est pas question uniquement de maternité mais de féminité», a renchéri Beatrice Trussardi, présidente de la Fondation qui porte le nom de son père et organise l'exposition. «Il s'agit de rappeler les pouvoirs qui ont été niés aux femmes puis qu'elles ont reconquis».

Les années 1990 voient émerger un nouveau féminisme - illustré par les «riot girls» américaines «dont le sex-appeal sert d'arme de séduction» selon M. Gioni, et la revendication homosexuelle de la maternité -, abordé dans la dernière partie de l'exposition, au même titre que ce drame si universel: la mort de la mère.

La Grande Madre, Palazzo Reale, Milan. Du 26 août jusqu'au 15 novembre. Renseignements sur www.lagrandemadre.org