«J'ai 98 ans et j'ai décidé de changer le monde»: l'oeil malicieux, Gottfried Honegger est toujours sur la brèche et l'une de ses dernières pièces, une variation des «tableaux-reliefs» au coeur de son travail, figure dans l'exposition que lui consacre le Centre Pompidou à Paris.

Né le 12 juin 1917 à Zürich, Honegger a fait l'objet d'une rétrospective en 1999-2001 à la Fondation Cartier à Paris, mais c'est la première fois que le Centre Pompidou consacre une monographie à cet acteur important de l'abstraction, peintre, sculpteur, dessinateur et écrivain (jusqu'au 14 septembre).

Tableaux-reliefs

Honegger crée ses premiers tableaux-reliefs en 1957 et expose en 1958-59 à la galerie Martha Jackson à New York: des oeuvres toutes du même rouge, qui «jouent sur la différence expressive de morceaux de carton collés et marouflés» (une surface légère fixée sur un support plus solide à l'aide d'une colle forte), explique le commissaire de l'exposition, Christian Briend.

Ces reliefs sont recouverts de nombreuses couches de peinture, «qui donnent des effets de glacis, de porcelaine», une technique renvoyant à une certaine tradition picturale.

Une des toiles est achetée par le Museum of Modern Art à New York.

En 1973, nouvelle étape, avec des tableaux-reliefs où les aplats de couleur sont très subtilement combinés avec des dessins au graffiti.

Déclinaisons

Au début des années 70, les tableaux-reliefs abandonnent le carré ou le rectangle pour des formes en escaliers ou arrondies. Honegger les décline en triptyque, y intègre des panneaux d'aluminium brossé. Des inventions qui le rapprochent des Américains Elsworth Kelly, Frank Stella ou du minimaliste Donald Judd.

Autres métamorphoses, le tableau-relief au châssis décalé en deux parties, celui en métal ou sans fond. Le tout dernier, peint en 2015, est ajouré.

Du tableau-relief, Honegger est passé dans les années 90 au tableau-espace, dont la forme s'émancipe du mur.

C'est aussi un grand sculpteur comme en témoignent dans l'exposition dix Pliages réalisés chacun à partir d'une seule feuille de métal.

Ordinateur

«Une donnée capitale dans l'oeuvre de Honegger est le rôle joué par le hasard», rappelle Christian Briend. Il joue aux dés pour répartir les modules de certains dessins ou choisir la couleur dominante d'une toile.

Dans cette perspective, il a été un précurseur de l'art par ordinateur dès les années 50, la machine étant censée lui fournir des données aléatoires.

Une approche qui, en même temps que ses liens avec la nature, lui donne une place à part dans le mouvement art concret, dont il est considéré comme l'un des principaux représentants avec son compatriote Max Bill et la Française Aurélie Nemours.

Ce mouvement se veut en opposition à l'abstraction «parce que rien n'est plus concret, plus réel qu'une ligne, qu'une couleur, qu'une surface».

France

Honegger a tissé des relations étroites avec la France. Non seulement il a vécu à Paris et Cannes, et évoque avec nostalgie son atelier au bord de la mer, mais il a fondé en 1990-1991, avec Sybil Albers-Barrier, l'Espace de l'Art Concret à Mouans-Sartoux.

Ils ont ensuite donné à l'État français en 2002-2003 leur collection forte de 500 oeuvres de 160 artistes (abstraction, minimalisme, art conceptuel), classée depuis Trésor National et exposée dans un bâtiment contemporain dédié.

Il a en revanche des «relations compliquées avec son pays», explique Christian Briend. «Il dit aux Suisses ce qu'il ne veulent pas forcément entendre».

Européen et engagé

Créateur exigeant, Honegger s'est toujours voulu un artiste présent dans la cité et sensible aux problèmes sociaux. Il a conçu un outil pédagogique, «Le Viseur», pour apprendre aux enfants à regarder. Honegger voudrait maintenant créer au sein de l'Espace de l'art concret des activités plastiques destinées à des enfants handicapés.

Convaincu que «l'excès d'images virtuelles paralyse notre conscience», il s'inquiète de l'addiction des jeunes aux écrans, allant parfois jusqu'à la folie.

Gottfried Honegger ne voudrait pas quitter «un monde où règnerait le graffiti» et cite l'ancien ministre français Maurice Schumann, affirmant que «l'Europe avant d'être une alliance militaire ou une entité politique doit être une communauté culturelle».