Quelles sont les expositions à voir? Nos critiques en arts visuels proposent une tournée montréalaise de galeries et de centres d'artistes. À vos cimaises!

La galerie Pierre-Francois Ouellette art contemporain présente en parallèle, jusqu'au 20 juin, la deuxième exposition montréalaise du peintre John Player ainsi que 10 minutes à Tohoku, vidéo créée au Japon par Michel Huneault, un an après le tsunami de 2011. Deux démarches sur les relations entre l'homme et «sa» nature.

Ayant récemment obtenu sa maîtrise en peinture à Concordia, John Player est un paysagiste et un artiste engagé. Ses nouveaux tableaux hyper réalistes traduisent son inquiétude par rapport à la militarisation des espaces naturels et de la société et à la télésurveillance des lieux et des citoyens.

John Player travaille avec précision les ombrages, la géométrie des bâtiments et la végétation, mais aucun être humain n'apparaît dans ses oeuvres qui, de loin, ressemblent à des photos aériennes. Pourtant, la présence humaine est partout, dans le regardé comme dans le regardant.

C'est dans les journaux et sur l'internet, notamment sur Google Earth, que cet artiste montréalais de 32 ans, originaire de Victoria, trouve les images dont il s'inspire pour ses tableaux.

Son but avoué est de faire réaliser au visiteur que son regard passe désormais par les machines. Avec l'internet et la surveillance par caméras, le citoyen est devenu un observateur non agissant et observé.

Du coup, ses tableaux ont été placés à une hauteur si inhabituelle par le commissaire Edward Maloney qu'on doit faire un effort physique pour en apprécier les détails. Une tactique astucieuse pour donner au visiteur l'impression d'être, lui aussi, un observateur qui regarde des écrans de surveillance.

Un an après le désastre

Après l'action de l'homme sur la nature, on passe dans la salle obscure de la galerie pour croiser l'action de la nature sur l'homme, avec une vidéo de Michel Huneault tournée au Japon.

Toujours intéressé par la compréhension des enjeux humains (il a couvert Haïti et Lac-Mégantic notamment), Huneault a produit une vidéo d'une douzaine de scènes - des plans fixes et des prises de vues - de la côte du Pacifique de Tohoku, dans le nord-est de l'île d'Honshu, durement touchée par le tremblement de terre, le tsunami et l'accident nucléaire de 2011: 15 880 morts, 6135 personnes blessées, 2694 disparus, 128 931 bâtiments détruits, 269 045 édifices à moitié écroulés, 736 323 partiellement endommagés et plus de 300 000 sans-abri.

Tout en aidant localement les Japonais après s'être associé à une ONG, Michel Huneault a tourné des images des zones dévastées en cours de restauration. Des paysages de désolation parfois sans arbres ni maisons, où la terre a été retournée, où les fondations et les murs porteurs des demeures rappellent qu'il y a eu là une cité active.

«Tout s'est liquéfié»

D'énormes bateaux de pêche ont été projetés en travers d'une route et attendent d'être démontés. Plus loin, la vie semble avoir repris. Des chalutiers sont à quai dans un port où seul un réverbère tordu rappelle le drame. Mais c'est une mauvaise impression. 

«À cause de l'eau dans les sols, tout s'est liquéfié. Du coup, tout ce qui est souterrain a bougé. Les canalisations, les fondations, mais les ports aussi. Ils ont calé. Pour ce port, tout est à refaire.» - Michel Huneault, photographe

L'oeuvre est forte. Elle porte à réfléchir à l'arrogance de l'homme qui pense pouvoir vaincre la nature en tout temps et en tout lieu, construisant n'importe où et se moquant des risques naturels. Une oeuvre qui génère une empathie et en même temps l'espoir que l'homme finira par apprendre de ses erreurs.

La vidéo est tirée d'un plus large corpus intitulé Post Tohoku, qui inclut des photos et des vidéos et qui sera présenté au centre d'arts médiatiques Labo, à Toronto, en 2016. Pour cela, Michel Huneault retournera au Japon pour la deuxième phase de son projet l'automne prochain.

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À la galerie PFOAC (édifice Le Belgo, 372, rue Sainte-Catherine Ouest, # 216) jusqu'au 20 juin.

http://www.pfoac.com/index_FR.html

Habiter sa nouvelle patrie

Depuis cinq ans, le centre Turbine et le Théâtre Le Clou réalisent des projets artistiques avec des jeunes de l'école secondaire Jeanne-Mance qui ont récemment immigré au Québec. Intitulée Habiter, l'exposition des oeuvres de la dernière cohorte créées avec l'artiste Guillaume La Brie est présentée dans cette école jusqu'au 5 juin.

Veronika Pivtorak est née en Ukraine. Âgée de 15 ans, elle est arrivée au Québec l'an dernier avec ses frères Oleksii et Pavlo. Elle parle déjà un peu français et le doit aux cours de francisation qu'elle suit dans une classe d'accueil de l'école Jeanne-Mance, mais aussi à l'activité artistique qu'elle a menée l'hiver dernier avec l'artiste Guillaume La Brie.

Dans le cadre de ses projets pédagogiques organisés dans des écoles et des centres de santé, le centre Turbine a invité Guillaume La Brie à créer des oeuvres avec des élèves. «Notre but est de faire connaître l'art actuel dans différentes communautés, dit Yves Amyot, fondateur de Turbine. On invite des artistes à venir y créer. Dans ce cas-ci, le but était que 12 jeunes apprennent le français à travers l'art.»

Contes et formes découpées

La réalisation des oeuvres a été inspirée par des contes urbains écrits par de jeunes auteurs par le truchement du concours Les Zurbains. Les élèves ont lu leurs textes en classe puis ont mis en scène le rapport entre leurs corps et l'espace par l'entremise de la sculpture et de la photographie.

Les jeunes ont ainsi créé, par équipe de deux, des sculptures en contreplaqué et carton. Une partie de l'oeuvre représente la forme de leur tête et parfois de leur corps. «Nous avons pris crayon, dessiné contours puis découpé avec scie sauteuse, dit Veronika dans un français encore fragmentaire. J'aime beaucoup travail comme ça.»

La création des sculptures s'est faite lors de cinq rencontres successives en mars et avril. Leurs formes dépendaient de la position du corps que le jeune voulait prendre, une position dictée par des extraits des contes urbains. Chaque oeuvre exposée est ainsi accompagnée de ces extraits.

«J'écoute la musique, je regarde mes pieds, Yves qui fixe le mur du fond, pendant que je marche je t'ai regardée puis tu m'as regardé.» - Extrait qui accompagne une des oeuvres

Chaque élève devait «habiter» sa propre forme dans la sculpture, d'où le titre de l'exposition. Ainsi, pour certaines sculptures, la forme est celle de quelqu'un qui marche. Pour une autre, l'élève avait les pieds collés. Les oeuvres sont bien sûr empreintes de la démarche de Guillaume La Brie. Les formes de silhouettes découpées sont sa signature dans plusieurs de ses oeuvres.

Guillaume La Brie a bien apprécié cette première expérience artistique avec des jeunes. «C'était très enrichissant, dit-il. Intéressant de les voir apprendre à faire les choses pour la première fois. Ils n'avaient aucune barrière pour créer.»

Leïla Saadoun, qui enseigne en classe d'accueil de cette école à des jeunes d'origine coréenne, chinoise, iranienne, ukrainienne ou libyenne, explique que les 12 élèves avaient été choisis en fonction de leur attirance pour l'art et de leur motivation.

«C'était très enrichissant pour eux, car ils ont appris un vocabulaire différent dans un contexte différent de celui de la classe, dit-elle. Ils ont même visité l'atelier de M. Labrie. Tout ça permet de les intégrer à la réalité québécoise. On les sort de ce qui est routinier. Ils peuvent entrer en contact avec le milieu culturel et c'est important, car un immigrant, quand il arrive - je suis bien placée pour le savoir - son premier souci, ce n'est pas la culture. Il a d'autres priorités. Donc, ça leur a permis de voir un autre aspect de la vie au Québec. Et travailler avec un artiste, c'est quand même un privilège.»

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Exposition Habiter, à l'école secondaire Jeanne-Mance, 4240, rue Bordeaux, jusqu'au 5 juin.

Photo: fournie par Guillaume La Brie

Dans le cadre de ce projet, les élèves ont mis en scène le rapport entre leurs corps et l'espace par le biais de la sculpture et de la photographie. Six duos formés de deux élèves ont créé six sculptures qu'ils ont «habitées» pour cette prise de vue.

Les autres expos à voir

STÉPHANE LA RUE

Cette exposition de groupe comprend des travaux récents de Stéphane La Rue, Jocelyne Alloucherie, John Heward, Angèle Verret, Oscar Varese et Mathieu Gaudet. Le minimalisme en lettres majuscules. L'une des expositions annoncées pour l'été qui est à ne pas manquer.

Galerie Roger Bellemare et Christian Lambert, 372, rue Sainte-Catherine Ouest, suites 501-502, dès demain et jusqu'au 18 juillet

http://www.rogerbellemare.com/

SCOTT EVERINGHAM

Architecture et peinture se fondent dans la pratique de Scott Everingham. Avec Breather, on ressent chez le jeune peintre ontarien, un intérêt certain pour les fictions. Peinture abstraite, soit, mais qui pose les jalons de constructions, de personnages à peine aperçus, d'histoires possibles, imaginées peut-être. 

À la galerie Patrick Mikhail, 4445 rue Saint-Antoine Ouest, jusqu'au 24 juin

http://www.patrickmikhailgallery.com/

FRANÇOIS SIMARD

C'est le cas de le dire, François Simard semble vouloir élargir le spectre de son travail avec cette exposition intitulée Spectrum. Le jeune peintre de Québec expose, en triptyque du moins, une vision tout aussi vibrante, mais plus attirée par la verticalité que d'habitude. À suivre. 

À la galerie Laroche/Joncas, 372, rue Sainte-Catherine Ouest #410, jusqu'au 11 juillet

http://larochejoncas.com/

ISABELLE HAYEUR

Si vous passez par La Nouvelle-Orléans à l'été, l'exposition Ten Years Gone montrera plusieurs photos de la série Underworlds de la Québécoise Isabelle Hayeur. Coïncidant avec le 10e anniversaire de l'ouragan Katrina, cette exposition présente le travail de six artistes contemporains qui explorent les thèmes du passage du temps, de la mémoire et de la perte.

Au New Orleans Museum of Art jusqu'au 7 septembre 2015

http://noma.org/#100

- Mario Cloutier