L'apparition d'un petit événement d'art contemporain parallèle à la foire Papier, ce printemps, ressuscite l'idée d'une grande foire pluridisciplinaire d'art contemporain à Montréal. Comme à New York, Toronto ou Miami. Si la direction de l'Association des galeries d'art contemporain n'y croit pas, des galeristes et collectionneurs réputés caressent cette ambition.

La foire Art Toronto présente depuis 15 ans des oeuvres d'art, tous médiums confondus, provenant de galeries canadiennes et étrangères. L'Association des galeries d'art contemporain (AGAC) organisera ce printemps sa huitième foire Papier à Montréal, mais l'on n'y vendra que des oeuvres reliées au papier. L'AGAC a aussi lancé, en octobre dernier, sa première édition de Feature à Toronto, où 23 galeries canadiennes exposaient, sans aucune restriction de médium, les oeuvres de leurs artistes. Alors, pourquoi pas une telle diversité d'oeuvres à Montréal, se demandent plusieurs galeristes montréalais, dont Yves Laroche.

«Montréal est une plaque tournante, dit-il. Du temps de Borduas, on avait une grande foire. Les plus avant-gardistes ont été obligés de faire place à la jeune création. C'est un peu ça qu'on vit aujourd'hui.»

Yves Laroche veut faire connaître tous les arts sans restriction avec la nouvelle foire (pour l'instant marginale) Art contemporain pour tous, qui aura lieu en même temps que Papier 15, du 23 au 26 avril, dans les locaux contigus des galeries Yves Laroche, Lacerte et Robert Poulin.

«On a décidé de créer notre foire à cause notamment du street art: il est inconcevable que ce soit si peu connu alors que Christie's ou Sotheby's organisent des ventes de street art», lance-t-il.

Copropriétaire de la galerie Trois Points et présidente de l'AGAC, Émilie Grandmont Bérubé vante la diversité de Papier 15: «Il y aura de la vidéo, de la photo, de la peinture et de la sculpture, dit-elle. On a une programmation diversifiée qui s'ouvre à différents médiums avec toujours un lien avec le papier.»

Appel à la pluralité

Mais des collectionneurs lancent un appel à la pluralité. L'homme d'affaires François Rochon serait heureux si une grande foire était créée dans la métropole. «J'adore aller à Art Basel Miami ou au Armory Show, à New York, dit-il. On a toutes les ressources à Montréal pour organiser une grande foire internationale d'art contemporain. L'Arsenal est un signe qu'il y a du potentiel pour faire de Montréal une plaque tournante de l'art actuel mondial.»

Tout en appréciant la foire Papier pour sa capacité à proposer des oeuvres à des prix abordables, le président du Musée d'art contemporain de Montréal Alexandre Taillefer estime que l'AGAC aurait dû élargir sa programmation aux oeuvres non reliées au papier.

«Honnêtement, refuser ça, c'est un peu de l'intégrisme. Ça dessert les galeristes et les artistes. Quand j'entends l'AGAC émettre un jugement sur la qualité d'un Yves Laroche ou d'un Lacerte: attendez là, ce sont des galeristes qui ont une connaissance incroyable de leur marché», laisse-t-il entendre.

Assez d'acheteurs?

François Rochon se demande toutefois s'il y aurait assez d'acheteurs pour une grande foire. «Si on veut faire un Frieze Montréal [comme à Londres et à New York], il faudra convaincre la crème des collectionneurs internationaux de venir dépenser ici une partie de leur budget d'acquisition.»

«D'un point de vue pancanadien, on n'a pas un marché extrêmement fort, estime Émilie Grandmont Bérubé. On n'est pas présent à l'international autant qu'on pourrait ou devrait l'être, même si on a une concentration d'artistes exceptionnels et un milieu en effervescence.»

«Montréal offre-t-il un réel marché pour des galeries étrangères?», se questionne Claude Gosselin, fondateur du Centre international d'art contemporain de Montréal. «Nous sommes voisins de New York et de Toronto. La concurrence est grande. Toronto, pourtant beaucoup plus riche que Montréal, n'attire pas de grands noms. Montréal réussirait-il? Avons-nous un nombre suffisant d'acheteurs et de collectionneurs pour des oeuvres d'artistes qui ne sont pas de chez nous? On peut en douter.»

Une niche pour Montréal

François Rochon croit cependant que Montréal pourrait trouver sa particularité. «Les Art Basel Miami ont souvent un fort volet classique (Picasso, Sam Francis, etc.). À Montréal, ça pourrait être à une foire 2000+, par exemple», dit-il, évoquant l'idée d'une vitrine pour l'art produit après l'an 2000. «Papier tente de se tailler une niche et le fait très bien, d'ailleurs. L'exemple de Feature à Toronto démontre qu'il y a de la place pour des foires plus axées sur l'art actuel.»

Yves Laroche est du même avis. Son groupe de galeristes aurait pu accueillir bien plus de monde cette année, n'eût été le manque de place. «J'ai eu une vingtaine de demandes de galeries canadiennes, dit-il. Même des confrères américains seraient venus. Je suis en train de magasiner un lieu dans le quartier des affaires pour 2016. Et je n'exclus pas d'avoir Papier tout près de nous, car c'est une belle petite foire. Mais Papier sera une chose, et notre foire, autre chose. D'ailleurs, on compte créer une association de galeries qui défend les galeries.»

Alexandre Taillefer estime que cette division n'est pas saine, ni d'ailleurs l'organisation de Papier 15 dans un édifice du Mile End. «On dirait que l'AGAC veut que ça devienne plus élitiste, dit-il. On n'aurait pas dû laisser deux foires en même temps. Ça aurait dû être dans la continuité de Papier, de grandir, d'inviter des galeries internationales et de miser sur le succès des années précédentes. Cette année, je pense qu'on va passer à côté de quelque chose d'intéressant.»

Association des galeries d'art contemporain

> Fondée en 1985.

> Siège à Montréal.

> 43 galeries membres, dont 27 du Québec. Les autres galeries sont de Calgary, Ottawa, Toronto, Edmonton et Vancouver.

> Organise le Gala des arts visuels depuis 2011.

> Organise la foire Papier, dont la huitième édition aura lieu au 5445, avenue de Gaspé. du 24 au 26 avril.