Quelles sont les expositions à voir? Nos critiques en arts visuels proposent une tournée montréalaise de galeries et de centres d'artistes. À vos cimaises!

Fouilles postconceptuelles

Sophie Calle a attiré tous les regards, avec raison, avec son exposition actuelle au Musée d'art contemporain, mais, au même endroit, les propositions de Simon Starling valent tout autant leur pesant d'art.

Simon Starling propose de quoi satisfaire tous les amateurs éreintés par l'art conceptuel sans profondeur. Le travail de l'artiste britannique porte toujours plus loin qu'une simple idée. Tout est dans la démarche, le geste enfin assumé. 

Le titre Métamorphologie décrit bien l'esprit de transformation qui habite l'artiste face à l'objet. Starling met en marche un processus de recherche et de fouilles aboutissant à une création qu'on peut qualifier de conceptuelle, mais qui s'approfondit d'un récit de nature sociologique, historique ou économique.

Sa série photographique Tableaux pour une exposition a nécessité des mois de travail. À partir de deux photos de 1927, Starling a retracé, jusqu'à aujourd'hui, le parcours de sculptures de Brancusi exposées à Chicago à l'époque. Une recherche méticuleuse, aussi bien artistique qu'économique.

De la même manière, son étonnante installation The Long Ton nous parle du poids relatif et de la valeur marchande des objets. À l'aide d'un système complexe de poulies, l'artiste nous fait croire qu'un bloc de marbre italien de 250 kg «pèse/vaut» autant qu'un bloc de marbre chinois d'une tonne!

Enfin, la pièce centrale de l'exposition reste sa magnifique installation Project for a Masquerade (Hiroshima). Des masques - à l'effigie de James Bond, du colonel Sanders et du sculpteur Henry Moore, notamment - nous regardent. De l'autre côté d'un écran, une vidéo raconte une histoire déjantée d'espionnage impliquant des artistes et des hommes politiques tout en montrant un artiste traditionnel japonais fabriquant les masques. Fascinant.

Cherchant constamment le chemin le plus long plutôt que le simple effet, le lauréat du prix Turner en 2005 s'intéresse à l'histoire de l'art, évidemment, mais il est l'un des rares artistes visuels, de nos jours, à maîtriser autant les liens qui unissent l'art et l'argent que l'art et la politique.

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Au MAC jusqu'au 10 mai. En outre, l'artiste participera au colloque international Max & Isis Stern au même endroit le 27 mars, de 18 h à 20 h 30, et le 28 mars, de 10 h à 17 h.

Photo: fournie par DHC/Art

Photo tirée de la vidéo Secret Spill, 1974, de Theresa Hak Kyung Cha. Avec le concours d'Electronic Arts Intermix (EAI), New York. www.eai.org

Un langage fauché trop tôt

La Fondation DHC/ART présente, jusqu'au 4 avril au Centre Phi, l'oeuvre de Theresa Hak Kyung Cha, figure marquante de la poésie du langage. Immatériel est une exposition conceptuelle sur une artiste polyglotte dont la mort tragique en 1982, à l'âge de 30 ans, a entraîné un vif intérêt pour ses travaux vidéographiques et littéraires.

Artiste et écrivaine américaine d'origine coréenne, passionnée et marquée par le cinéma - notamment français, à la suite d'un séjour en France dans les années 70 -, Theresa Hak Kyung Cha a eu une courte production artistique, vu sa disparition brutale en 1982.

Se rendant en soirée dans un édifice où son mari, le photographe Richard Barnes, documentait la rénovation des lieux, Mme Cha y a croisé un garde de sécurité qui l'a violée et assassinée. Le meurtrier était un tueur en série. Arrêté plusieurs années plus tard à la suite d'un meurtre en Floride, il fut condamné à 25 ans de prison.

L'oeuvre écourtée de Cha s'est perpétuée grâce à la vigilance d'artistes et d'intellectuels. Ses archives sont conservées au Berkeley Art Museum, en Californie. Jamais exposé à Montréal, son travail est étudié depuis six ans par une professeure de Concordia, Monika Kim Gagnon, qui estime que la démarche réflexive de Cha est encore très pertinente.

L'exposition que la professeure a organisée au Centre Phi comprend des éléments d'archives, quatre vidéos et un film réalisés entre 1974 et 1977, ainsi que plusieurs livres, notamment Dictée. Il s'agit de l'ouvrage expérimental en français, anglais et coréen qui a fait sa renommée. Elle y raconte son histoire à travers une femme qui fait un voyage en Corée du Sud et y aborde la problématique du langage, de la traduction et de la phonétique.

Oeuvres méditatives

La première vidéo, Re Dis Appearing, est un jeu sensuel sur les échanges de langues, le toucher, les textures, la liquidité et le goût reliés à la cérémonie du thé, avec des images de bols, d'eau, de ciels étoilés et de plages. Une oeuvre méditative.

De la même façon, Vidéoème a un côté ludique avec, sur un bruit de fond, l'apparition de mots tels que VIDÉ, VIDÉ O, O ÈME. Puis, Cha prononce les mots sound, see, empty, emptied. Comme l'a déjà fait Michael Snow, elle joue avec la poésie de la langue, avec la relation phonétique et visuelle entre le français et l'anglais.

La vidéo Mouth to Mouth, d'une durée de 8 minutes, est remplie de mystère. Le bruit blanc (la «neige» de la télé) couvre l'écran. Une forme apparaît puis disparaît. Est-ce un bateau? On perçoit finalement une bouche ouverte qui n'émet aucun son, tout en exprimant une sorte de fluidité de la langue.

Rite étrange

Secret Spill, qu'on pourrait traduire par Renversement secret, est la vidéo la plus narrative. La caméra filme une performance de l'artiste. Une forme est sur le sol. Est-ce du cuir? De la peau? Un objet en pierre? La forme est filmée de près. On en saisit toutes les aspérités, les reliefs et les teintes. Mais qu'est-ce? 

On voit ensuite un arbre, ses branches, une corde qui pend vers le sol. La caméra bouge lentement. On perçoit là l'influence de la Nouvelle Vague française. Les Godard et Rohmer de ce monde. Puis, l'artiste tire sur la fermeture éclair d'un grand double sac en toile dont elle fait sortir de la terre. Le sac à la forme de testicules était donc cette «chose» suspendue à la corde. Vidéo étrange, à la limite du morbide, dans laquelle on pressent un drame. Action abstraite et sculpturale qui semble rituelle. 

Enfin, le film Permutation nous montre la jeune soeur de l'artiste, Bernadette, de face, les yeux fermés ou ouverts, puis de dos, avec sa longue chevelure brune, le tout filmé en plan fixe. Elle ne sourit pas. Les images se répètent, séparées par des fonds blancs. On attend une variation, mais elle ne viendra pas, sauf l'apparition soudaine et brève, une seule fois, du visage de Theresa Hak Kyung Cha.

Une performance, une lecture et un hommage à cette artiste, avec la présence de poètes, de spécialistes et d'artistes, auront lieu le 26 mars en complément de cette exposition.

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Au Centre Phi (407, rue Saint-Pierre) jusqu'au 4 avril.

Les autres expos à voir

CIAC

Le CIAC fête ses 30 ans en rendant hommage à la lauréate du prix Sobey 2014, Nadia Myre. Dans le but de poursuivre les activités, le président du conseil d'administration, Claude Gosselin, et la nouvelle directrice, Marie Perrault, ont aussi pensé à une expo-vente à laquelle de nombreux artistes ont généreusement contribué: ATSA (Annie Roy et Pierre Allard), Geneviève Cadieux, COZIC, Pierre Dorion, Karilee Fuglem, Roberto Pellegrinuzzi, Ed Pien, Françoise Sullivan et Armand Vaillancourt. 

Fonderie Darling (745, rue Ottawa), aujourd'hui et demain, de 11 h à 19 h.

LÉOPOLD L. FOULEM

Après 40 ans de carrière, Léopold L. Foulem a eu droit à une rétrospective, l'an dernier, au Musée national des beaux-arts à Québec, et c'était chose due. Art ou métier d'art? Peu importe. Le travail du céramiste acadien est toujours minutieux, ludique et irrévérencieux. Il vaut le coup d'oeil... et l'esprit allumé!

Galerie Luz (372, rue Sainte-Catherine Ouest, local 418),  jusqu'au 4 avril.

ÉLAINE LABRIE

Cette fascinante vidéo minimaliste d'Élaine LaBrie est un Sans titre qu'on pourrait qualifier de «lâcher-prise». Filmée par trois caméras en un seul plan-séquence, la danseuse Marilyne St-Sauveur risque le déséquilibre de la chute. Au bord de la désarticulation, son corps se tord puis se redresse comme au ralenti. Élasticité et simplicité. Beauté.

Espace Cercle Carré (36, rue Queen), du 24 au 28 mars.

GABRIELLE LAJOIE-BERGERON

Côté relève, allons voir le travail de cette récente titulaire d'une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l'UQAM, qui présente Love Me, Love My Doll. La jeune femme privilégie le choc et le cru en nous montrant une palette luxuriante. Entre désir et vulnérabilité. Les regards féminins qu'elle dépeint nagent entre accusateurs et troublants. 

La Centrale (4296, boulevard Saint-Laurent), jusqu'au 10 avril.