Télévision, théâtre, cinéma, cirque, opéra: le costume est indispensable à tous les arts de la scène, et nombreux sont les concepteurs et les petites mains qui s'affairent à le sublimer pour qu'il devienne le prolongement logique de chaque personnage. C'est la tâche à laquelle Judy Jonker s'attelle depuis près de 25 ans.

Alors que le costumier de Radio-Canada vient de fermer ses portes et que le sort des 90 000 costumes et accessoires qui le composent reste encore incertain, l'hyperactive conceptrice de costumes est sur tous les fronts: que ce soit avec la série Unité 9, la pièce de théâtre L'importance d'être Constant ou le film Triptyque de Robert Lepage, elle a su se faire un nom dans le métier grâce aux costumes qu'elle conçoit. Entrevue.

Pourquoi avoir choisi ce métier?

À l'âge de 3 ans, j'organisais déjà des spectacles dans ma cour, avec des billets qu'on perforait à l'aiguille. À l'école, j'étais ce qu'on appelle une bolle. Je voulais apprendre le monde au complet! Je me suis mise à dessiner des vêtements pendant mes cours d'anglais enrichi, car je m'ennuyais. Puis je me suis mise à les faire! À 15 ans, je suis rentrée au Cégep de Saint-Hyacinthe en interprétation; en parallèle, je créais les costumes pour des spectacles. J'étais un peu révoltée à l'époque et je suis partie faire du pouce en Californie avec mon amie Chantal Fontaine. À mon retour, je suis entrée à l'École nationale de théâtre en scénographie. Je voulais tout faire: écrire les pièces, les mettre en scène et créer les décors pour que tout le monde sache à quel point j'étais extraordinaire! Tout ce que je voulais était m'exprimer et, à travers les costumes, je le fais complètement.

Comment votre carrière a-t-elle commencé?

J'ai été l'assistante de François Barbeau pendant très longtemps. Il était mon directeur à l'École nationale de théâtre et il mettait en scène la pièce des finissants, Rashômon. Il m'avait prêté une paire de chaussures et, un an plus tard, je l'ai appelé, sous prétexte de la lui rendre, mais surtout pour lui dire que je cherchais un travail. Il m'a rappelée 15 minutes plus tard pour que je l'assiste dans La Sarrasine, un film de Paul Tana. François Barbeau est mon mentor. J'ai dû faire une cinquantaine de pièces et quelques films avec lui, et pas un jour ne passe sans que je pense à quelque chose qu'il m'a appris. Il m'a surtout montré comment ne pas regarder les choses telles qu'elles sont, mais telles qu'elles pourraient devenir. J'ai aussi été l'assistante de Suzanne Harel.

Quelle production vous a le plus marquée à vos débuts?

Sûrement Léolo. Je n'avais aucune expérience et je me suis retrouvée responsable de tout. Il y avait François Barbeau, Denise Lemieux et moi. Denise a dû partir en voyage la dernière semaine de préparation et, la première journée du tournage, Lauzon est devenu fou sur le plateau! Pourtant, il était très généreux avant; il nous arrivait avec des photos, etc. Mais quand il entrait dans sa bulle sur le plateau, il devenait difficile sur le plan de ses demandes. François travaillait à d'autres projets et je n'avais pas d'expérience. Après ça, plus rien ne m'a donné de stress jusqu'au Bourgeois gentilhomme! C'était gros!

Comment décririez-vous votre processus créatif?

En lisant le texte, je me fais une idée, j'ai des images, je repère des indices sur la personnalité des personnages et ce qu'on veut en faire ressortir. Puis j'en discute avec le réalisateur avant de commencer à dessiner ou de partir à la recherche de costumes. J'organise tout par personnage dans une bible des costumes. Pour moi, c'est un processus qui s'apparente à de la sociologie. Les gens s'habillent de telle manière pour une raison précise. Plus je fouille, plus j'en apprends sur l'humain. Grâce à l'internet, j'ai accès à des robes, des peintures, des photos qui sont à l'autre bout du monde.

Que deviennent les costumes à la fin d'une production?

Ils meurent, un peu partout. Les institutions comme le Rideau Vert ont un costumier. Le TNM vient de fermer le sien, car il n'en a plus les moyens: les costumes restants sont rendus dans une petite pièce. Ça m'arrache le coeur.

Que signifie pour vous la fermeture du costumier de Radio-Canada?

Quand j'ai appris la nouvelle, ç'a été comme si on m'avait donné un coup de poing dans le ventre. Les gens ont commencé à crier au scandale pour les costumes de Bobino ou de Fanfreluche, mais c'était certain qu'ils allaient finir par les garder. Le problème, ce sont les 75 chemises des années 60 ou les 150 t-shirts des années 50. L'idée que ça ne servait pas vraiment aux productions est fausse. Si je fais un film qui se passe dans les années 40 à 60, je vais faire confectionner les trois robes du rôle principal et un veston, par exemple. Mais je n'aurai pas les moyens d'habiller les 400 figurants! On ne pourra plus faire de films d'époque au Québec dans ces conditions. Il ne reste plus que deux ateliers de costumes à Montréal: FMR et Espace costume qui, on l'espère ardemment, va racheter le costumier du diffuseur public.

Préférez-vous travailler à des productions contemporaines ou d'époque?

Avant de faire du contemporain, je pensais que ça serait plate. Mais c'est très intéressant, car le public a toutes les références. Il ne sait pas pourquoi ça ne marche pas, mais il va s'en apercevoir. Dans les costumes d'époque, on en passe des vertes et des pas mûres! On n'a pas les moyens d'avoir la bonne chaussure d'époque, alors on en choisit une autre et seulement trois historiens vont le voir! Même chose si on est au théâtre. C'est comme pour un magicien: le public ne doit pas voir tes tours et se mettre à réfléchir.

Le métier de créateur de costumes est-il appelé à perdurer?

Tu dois aimer ça. Il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus. Il n'y a qu'un concepteur de costumes par projet. Mais on aura toujours besoin de se faire conter des histoires.

Quels sont vos projets à venir?

Je travaille à Collection printemps-été de Christian Vézina au Nouveau Théâtre expérimental. C'est un récital de poésie sous forme de défilé de mode, comme si chaque femme poète était une collection. Je serai aussi de retour au sein de l'équipe du Théâtre du Vieux-Terrebonne à l'été pour créer les costumes du Combat des chefs, une comédie qui se déroule en 1932.