Quelles sont les expositions à voir ce week-end? Chaque vendredi, nos critiques en arts visuels proposent une tournée montréalaise de galeries et de centres d'artistes. À vos cimaises!

Perdus dans la ville

L'artiste torontois Kent Monkman est de retour à Montréal avec une exposition intense et engagée chez son galeriste Pierre-François Ouellette. Avec Urban Res (Réserves urbaines), l'artiste d'origine crie a délaissé ses paysages de style Albert Bierstadt pour décrire la dure réalité des autochtones dans les villes canadiennes.

L'artiste Raymond Boisjoly y fait référence, à la Biennale de Montréal, avec son oeuvre (And) Other Echoes. La migration des réserves vers les villes n'est pas souvent harmonieuse pour les Amérindiens. Dans ses nouvelles peintures, Kent Monkman aborde la vie des autochtones dans des villes «créées sur leur territoire ancestral».

«Il y a une sorte d'amnésie, dit Kent Monkman. On a tendance à oublier que si des autochtones vivent dans ces villes - notamment Winnipeg - comme des citoyens de seconde classe, c'est le résultat de la colonisation et du déplacement des autochtones dans des réserves créées artificiellement. Et ça les a empêchés de profiter des circonstances opportunes dans ces villes. Mon arrière-grand-mère a été déplacée trois fois... et toujours plus loin des villes.»

C'est cet héritage de la dépossession - et la violence autochtone qui en découle, selon lui - que Monkman dépeint dans ses nouvelles oeuvres où il associe images de violence et références culturelles autochtones.

Dans Seeing Red, il a transposé la virilité des corridas au coeur du Manitoba. Mais le bison remplace le taureau (de Picasso), et son alter ego mi-homme, mi-femme, Miss Chief Eagle Testicle, fait office de torero avec une cape aux couleurs du magasin La Baie d'Hudson. Avec le dessin d'une prison, la toile évoque la délinquance autochtone: l'incarcération est «20 fois plus élevée» chez les autochtones que chez les non-autochtones, dit Monkman. 

Violence omniprésente

L'artiste souligne la violence faite par la «colonisation canadienne» à «l'esprit féminin» qui marque les sociétés autochtones matriarcales et qui, selon lui, a été foulé aux pieds par la tradition patriarcale et macho des colons européens. La violence est donc partout dans cette toile, notamment avec une voiture qui brûle devant des danseurs à tête de bison, comme ceux peints au XVIIIe siècle par George Catlin. 

Dans Bad Medicine, Kent Monkman a peint des ours qui envahissent une rue de Winnipeg. L'esprit de l'ours a été appelé à la rescousse contre «le mal qui règne». L'ours ici, ailleurs l'aigle ou le bison. La mythologie autochtone est présente dans toutes ses toiles. Comme la violence.

Des soldats canadiens et un «Warrior» sont cachés dans les buissons. Un drapeau mohawk est inséré dans une fenêtre. Allusion à la crise d'Oka et à d'autres luttes, notamment dans l'Ouest.

En associant dans ses peintures des femmes cubistes de Picasso ou des corps torturés de Francis Bacon, Monkman suggère que les artistes ont souvent emprunté à leurs pairs indigènes. La femme torturée de sa peinture Le petit-déjeuner sur l'herbe évoque les «centaines de femmes autochtones canadiennes qui ont disparu ou ont été assassinées» ces dernières années, regrette Kent Monkman.

On retrouve ces corps de femmes torturées dans les toiles Hope et Love. Des membres de gangs de rue autochtones se penchent sur ces femmes qu'on a maltraitées. Pour décrire l'expression de leur compassion, Monkman dit avoir puisé dans la tradition des Rubens, Caravage, Poussin, Véronèse et Titien. Cela donne des oeuvres fortes. Monkman poursuit sa démarche de réinterprétation de l'histoire canadienne. Avec l'espoir que les autochtones, souvent perdus dans les villes, trouvent enfin une digne place dans ce pays.

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À la galerie Pierre-François Ouellette art contemporain (édifice le Belgo, 372, rue Sainte-Catherine Ouest, local 216), jusqu'au 20 décembre

L'architecture à la pièce

Le Centre canadien d'architecture présente les oeuvres de deux architectes internationaux, Umberto Riva et Bijoy Jain, de véritables artistes des plus minutieux.

L'un travaille seul, l'autre pas. Tous deux pratiquent une approche holistique de l'art de l'architecture. L'Italien Umberto Riva et l'Indien Bijoy Jain sont réunis dans l'exposition Des pièces à ne pas manquer au CCA. 

La «totalité» d'Umberto Riva est celle d'édifices totalement adaptés à leur environnement, de l'angle des murs et des fenêtres jusqu'aux lampes qui habillent les pièces.

Riva conçoit son travail dans le détail le plus fin, le plus esthétique. L'architecte peint aussi, et son goût de l'abstraction géométrique se retrouve dans sa façon de dessiner les pièces d'un logement et les liens entre elles.

Il conçoit les meubles, les lampes, les étagères, le moindre objet, puisque celui-ci fait partie d'un tout fluide et fonctionnel. Il déconstruit et reconstruit en usant des formes et des couleurs. Rien n'est laissé au hasard.

Les amateurs de design, peut-être même plus que d'architecture, se régaleront des artefacts - plans, objets, photos - qui composent la présentation du CCA. Les créations originales d'Umberto Riva séduisent... totalement! 

Bijoy Jain

La totalité de l'Indien Bijoy Jain, en comparaison, est celle d'un maître de jeu qui se fond totalement dans le décor. L'architecte aime travailler avec des artisans et des produits locaux pour réaliser ses projets.

Sa minutie s'exprime dans des maquettes qui sont des oeuvres d'art en soi. Créées dans le menu détail, avec un sens presque maniaque des matériaux utilisés, ces constructions devenues réalité accordent une place importante aux cours intérieures, véritables lieux de rencontres et de liaison.

Là aussi, les réalisations s'adaptent à un climat particulier, marqué par des pluies diluviennes et des chaleurs intenses. L'eau devient pratiquement un élément de décor, l'élément vivant, organique, de la sobriété ambiante.

Commissaire de l'expo, le directeur du CCA, Mirko Zardini, replace ici l'architecture au coeur même de la présence et de l'activité humaines, telle une noble fonction qui nous éloigne de la mode envahissante des starchitectes.

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Au CCA jusqu'au 19 avril 2015.

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

L'exposition Des pièces à ne pas manquer est présentée au CCA jusqu'au 19 avril 2015.

Les autres expos à voir

BILL FINGER

Avec un sens de la photographie qui le rapproche de l'univers cinématographique, l'artiste américain Bill Finger a créé sa série Ground Control autour de la question «Si vous aviez la chance d'avoir un aller simple vers Mars, iriez-vous?». Il en résulte des images qui permettent notamment de cerner l'hypothétique préparation d'un citoyen astronaute à un tel voyage sans retour. Dans la galerie, le visiteur peut exprimer s'il irait ou non sur Mars si on lui en donnait la possibilité. Quand nous sommes passés, 80 % des visiteurs avaient répondu non.

À la galerie Visual Voice (372, rue Sainte-Catherine Ouest, local 421), jusqu'au 29 novembre.

GILLES MIHALCEAN

Lauréat du prix Paul-Émile-Borduas 2011, Gilles Mihalcean présente ses sculptures les plus récentes à la Galerie Laroche/Joncas. Pionnier autodidacte de la sculpture contemporaine au Québec, l'artiste de 68 ans travaille toujours en privilégiant l'association libre avec une verte fraîcheur et un humour assumé. À voir notamment: sa Tête d'enfant en plâtre et son hommage à Victor-Lévy Beaulieu, une superbe tête en graphite.

À la Galerie Laroche/Joncas (372, rue Sainte-Catherine Ouest, local 410), jusqu'au 20 décembre.

TONG LUO

La galerie Han Art présente, jusqu'au 13 décembre à Westmount, l'exposition Terre de neige du peintre Tong Luo. Les toiles de cet artiste figuratif résultent de voyages qu'il a faits au Tibet. Ses peintures témoignent de la culture, des rites et des paysages de cette nation himalayenne. Né en Chine en 1969, Tong Luo a immigré au Canada dans les années 2000. Il vit et travaille à New York.

À la galerie Han Art (4209, rue Sainte-Catherine Ouest, Westmount), jusqu'au 13 décembre.

COZIC/MOLI

Direction années 70. Molinari vient de représenter le Canada à la Biennale de Venise. Le duo Cozic commence à exposer. Les trois, Guido Molinari, Monique Brassard et Yvon Cozic, partagent des intérêts pour la structure, les couleurs et la géométrie. Gilles Daigneault a eu la bonne idée de réunir leurs oeuvres dans une expo sérieuse et ludique où les grands esprits se rencontrent.

À la Fondation Molinari (3290, rue Sainte-Catherine Est), jusqu'au 25 janvier 2015.

LE SOMMET DE L'AVENIR

En marge de ses expositions, la Biennale de Montréal 2014 organise, ce week-end au Centre canadien d'architecture, le Sommet de l'avenir, un temps de réflexion autour de thèmes tels que la «justice esthétique», les «dimensions visuelles et esthétiques des stratégies du groupe «hacktiviste» Anonymous» ou «les formes à-venir des villes». Parmi les conférenciers: Gabriella (Biella) Coleman, Krzysztof Wodiczko, Niels Van Tomme, Fixing the Future, Patricia Reed, Marie-Pier Boucher et Keller Easterling.

Au CCA (1920, rue Baile), demain et dimanche, de 10 h à 17 h.

Photo: fournie par la Galerie Visual Voice

Gemini, de Bill Finger