L'oeuvre que l'Américaine Andrea Bowers présente à BNLMTL 2014 est brûlante d'actualité, malheureusement. Elle raconte le viol d'une mineure par deux jeunes footballeurs de l'Ohio en 2013, une histoire dérangeante et vraie.

Au fin fond du Musée d'art contemporain, un mur tapissé de plaques bleues attire l'attention. On imagine un ciel d'été parsemé de quelques nuages. On s'approche, on lit et on découvre l'horreur.

«On aurait dû la bouger pour obtenir un meilleur angle», peut-on lire. Et encore: «As-tu des photos nues?» et «Elle était amoureuse de moi ce soir-là.»

Il s'agit de phrases parmi les moins crues faisant partie de la preuve au procès pour le viol d'une mineure à Steubenville, en Ohio, en 2013. Ce sont les transcriptions de textos et de messages échangés dans les médias sociaux par les deux jeunes footballeurs reconnus coupables du crime.

Andrea Bowers a assisté au procès et réalisé 56 «dessins» qui reprennent certains de ces échanges.

L'installation a nécessité plus d'un an de travail, soit davantage que la peine d'emprisonnement d'un des deux accusés.

«Chaque dessin est fait à la main, dit-elle. Je crois que ça porte une charge émotive plus grande. C'est un sujet grave à propos de la manière dont on traite le corps féminin.»

«Ces jeunes hommes, poursuit-elle, parlaient de tout ça comme si de rien n'était, comme si on parlait d'un objet jetable, comme si cela allait de soi. Ils n'avaient même pas conscience que l'internet, ce n'est pas quelque chose de privé ou pire, ils s'en foutaient.»

Un procès grâce à Anonymous

Sans internet, il n'y aurait pas eu de procès ni d'histoire à Steubenville, souligne Andrea Bowers. Ce sont des pirates informatiques du groupe Anonymous qui ont fait la lumière sur ce drame.

«Les médias sociaux ne sont pas bons ni mauvais en soi. Ils montrent des horreurs, mais permettent aussi à des gens comme ceux d'Anonymous de faire émerger ces mêmes horreurs.»

La violence sexuelle ne touche pas que les femmes, soutient-elle. Les hommes aussi la subissent, estime Mme Bowers.

«Je viens de l'Ohio et ce cas est très dérangeant, reconnaît-elle. Ça m'a touché personnellement d'en prendre connaissance. Je devais constamment prendre des pauses avant de continuer la lecture du récit.»

Les mots et les phrases importent. Que ce soit à Steubenville, au Canada dans le cas d'un certain animateur de CBC ou dans les histoires de viol collectif en Inde. Il s'agit de ce qu'elle appelle «la culture du viol».

«Ça me dépasse que quelqu'un s'accorde le droit de disposer d'une autre personne comme il l'entend et quand il le veut, avoue l'artiste. Étant femme, c'est effarant de constater à quel point les inégalités font partie du système.»

Un système qui ne remet presque jamais en question le pouvoir masculin.

«Quand les footballeurs ont été reconnus coupables, une jeune journaliste a affirmé qu'il était dommage de voir la vie de ces beaux jeunes hommes ternie par leur séjour en prison [des peines respectives d'un et deux ans], raconte Andrea Bowers. Elle prenait parti pour eux et ne parlait même plus de la victime. C'était déjà du passé.»

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Courtroom Drawings (Steubenville Rape Case, Text Messages Entered As Evidence, 2013) d'Andrea Bowers est présenté au Musée d'art contemporain dans le cadre de BNLMTL 2014 jusqu'au 4 janvier 2015.