La Biennale de Montréal présentera, à partir de jeudi et jusqu'au 4 janvier, une sélection d'oeuvres d'art contemporain d'une cinquantaine d'artistes de 22 pays. Un événement international de grande envergure qui marque un renouveau, explique la directrice générale et artistique de BNLMTL 2014, Sylvie Fortin.

Après les années Claude Gosselin - du nom de celui qui a porté à bout de bras l'organisation des sept premières éditions de la Biennale de Montréal - , l'édition 2014 est dirigée par une éminence de l'art actuel, Sylvie Fortin, qui veut faire de l'événement un rendez-vous incontournable dans le monde.

«Cette biennale est celle du repositionnement, dit-elle en entrevue avec La Presse. Celle d'une équipe qui veut s'engager auprès de la population de Montréal, pas seulement pour cette année, mais pour les années futures. Cette biennale vise à donner le ton: une biennale à la fine pointe des découvertes, où on apporte les productions contemporaines les plus intéressantes.»

Chiffré de façon prudente à 3,6 millions, le budget de cette biennale «diapason» permettra aux visiteurs de découvrir 150 oeuvres sur 14 sites. Des oeuvres fortes, parfois monumentales, qui reflètent un souci de se projeter dans le futur. D'où le titre de l'édition: L'avenir (Looking Forward).

Une biennale engagée, la BNLMTL 2014? Évidemment, répond Sylvie Fortin.

«L'art contemporain qui compte aujourd'hui est engagé. Ce n'est pas une prise de position, mais on a privilégié l'art le plus pertinent.»

Expérience américaine

Sylvie Fortin est commissaire, critique, éditrice et gestionnaire d'organismes artistiques. Elle a été rédactrice en chef (de 2004 à 2007), puis directrice générale (de 2007 à 2012) du magazine d'art contemporain Art Paper, à Atlanta. Elle s'est entourée de commissaires (Gregory Burke, Peggy Gale, Lesley Johnstone et Mark Lanctôt) aux expériences très variées pour conférer à l'événement un caractère éclectique.

Les oeuvres sont très modernes, beaucoup en 3D. «On remet les pendules à l'heure et on en présente assez pour que les gens se dotent d'un esprit critique», dit Sylvie Fortin.

Il y a 25 oeuvres inédites, dont 18 financées en entier ou partiellement par la Biennale, notamment les oeuvres de l'Australienne Susan Norrie, du Britannique Ryan Gander, du Canado-Iranien Abbas Akhavan, du Polonais Krzysztof Wodiczko, du duo russo-allemand Anton Vidokle-Pelin Tan, des Suédois Golkdin+Senneby, de la Tchèque Klara Hobza et des Québécois Isabelle Hayeur, Nicolas Grenier, Richard Ibghy-Marilou Lemmens et Susan Turcot.

Les commissaires ont visé un équilibre entre productions locales et étrangères.

«Un des objectifs [de la Biennale] est de propulser des artistes québécois sur la scène internationale. Quand on soutient Richard Ibghy et Marilou Lemmens pour leur Golden USB, c'est dans cette optique.»

Des oeuvres qui rapportent?

L'expérience américaine de Sylvie Fortin n'a pas nui à l'approche pragmatique de la Biennale concernant le financement des oeuvres qu'elle produit. En effet, les sommes investies correspondent à une sorte de fonds commun. Si les artistes vendent leur oeuvre d'ici deux ans, la somme investie reviendra à la Biennale et sera mise dans un fonds pour la BNLMTL 2016.

L'oeuvre la plus coûteuse cette année a été Homeless Projection, de Krzysztof Wodiczko, projetée sur le Théâtre Maisonneuve. Elle a coûté 250 000$, dit Sylvie Fortin. «Le Quartier des spectacles et le MAC l'ont payée moitié-moitié.» C'est le MAC qui va la conserver.

Lieu pivot de la Biennale, le MAC a subi une transformation majeure de ses salles. «Une biennale doit être différente de ce qui a été fait avant et ailleurs, dit Sylvie Fortin. Il faut créer une mise en espace adaptée, car c'est un outil d'interprétation majeur. Les gens visitent avec leurs yeux et leur corps.»

L'exposition commencera au rez-de-chaussée du MAC, qui a perdu son espace d'accueil. La rotonde présentera une oeuvre d'Étienne Tremblay-Tardif et les escaliers offriront la plongée sous-marine de Klara Hobza à Rotterdam. Les deux grands espaces du premier étage ont été complètement reconfigurés.

«Contrairement à ce que fait habituellement un musée, c'est-à-dire remplir des espaces avec des oeuvres, on fait l'inverse pour une biennale, dit Mme Fortin. C'est l'oeuvre qui a créé son espace.»

Le meilleur exemple sera les animaux empaillés d'Abbas Akhavan, qui seront éparpillés dans le musée quand toutes les autres oeuvres auront été installées. «Les artistes jouent ensemble, c'est bien!» dit Sylvie Fortin.

Promotion

La Biennale a fait un gros effort de promotion à l'étranger. Sa visibilité est même plus grande à l'étranger qu'au Québec.

«Comme biennale, on est le petit nouveau et on a une opportunité, dit-elle. Il n'y a pas de biennale importante en Amérique du Nord. Santa Fe se cantonne dans une optique des Amériques. La biennale du Whitney est celle de l'art américain. Montréal a la force et la capacité d'attirer les gens. C'est maintenant qu'il faut prendre la place, sinon un autre le fera.»

Battante et passionnée, Sylvie Fortin est très heureuse de constater que les collègues du Canada anglais embrassent l'événement montréalais sans arrière-pensée. «Le plus gratifiant, dit-elle, est de voir combien les gens de Vancouver, de Calgary et de Toronto veulent que la Biennale réussisse. Ils reconnaissent que si une ville canadienne peut la tenir, c'est bien Montréal. Et ils seront là pour le vernissage jeudi!»

> BNLMTL 2014, du 22 octobre au 4 janvier 2015.

La BNLMTL en chiffres

> 3,6 millions Budget de base de BNLMTL 2014

> 4 Nombre de commissaires

> 9 Nombre d'oeuvres financées par BNLMTL

> 14 Nombre de lieux d'exposition

> 22 Nombre de pays représentés

> 25 Nombre d'oeuvres inédites

> 25 Nombre de partenaires publics et privés

> 50 Nombre d'artistes et collectifs

> 50$ Prix du passeport (Biennale + MAC pendant un an)

> 76 Nombre de jours d'exposition

> 150 Nombre d'oeuvres

> 2000$ Cachet de base que reçoivent les artistes exposants.

L'avenir gris

Outre les travaux de Krzysztof Wodiczko (Homeless Projections: Place des Arts 2014) et d'Isabelle Hayeur (Murs aveugles) inaugurés la semaine dernière, la Biennale de Montréal a commandé sept autres oeuvres aux artistes Ryan Gander, Susan Turcot, Klara Hobza, Abbas Akhavan et Susan Norrie, ainsi qu'aux duos Anton Vidokle et Pelin Tan, Richard Ibghy et Marilou Lemmens et Goldin + Senneby. Ces créations produites par BNLMTL sont au coeur de la thématique de l'événement intitulé L'avenir, un avenir pas très rose, si l'on en croit ces artistes contemporains. La directrice de BNLMTL, Sylvie Fortin, commente ces oeuvres qui sont toutes présentées au Musée d'art contemporain, sauf indication contraire.

Tomorrow's Achievements 

Ryan Gander (Royaume-Uni)

Cette installation composée de quatre rideaux joue à cache-cache avec les oeuvres d'autres artistes exposées dans la même salle d'exposition au Musée d'art contemporain.

«C'est une oeuvre très ludique qui parle de l'art, dit Sylvie Fortin. Elle se demande si on est plus visible quand on est invisible. C'est aussi un questionnement éthique, car il faut du courage pour construire une oeuvre qui cache celles des autres. C'est beau comme geste dans une Biennale où l'on est censé être vu.»



2084: a Science Fiction Show


Anton Vidokle (Russie) et Pelin Tan (Allemagne)

Réfléchissant à la «future» histoire de l'art et à sa relation avec le travail, les deux artistes ont créé une série vidéo futuriste de trois épisodes de 22 minutes. Après Vancouver et Bergen (en Norvège), la Biennale de Montréal a produit le deuxième épisode évoquant un avenir où la Terre est dominée et gérée par les artistes.

«Et ça ne se passe pas très bien! commente Sylvie Fortin. Les trois épisodes seront diffusés simultanément dans une même salle. Cela permet une immersion totale.»



Automobility

Susan Turcot (Canada)

Artiste montréalaise vivant en Angleterre, Susan Turcot présente une sculpture environnementale sur l'exploitation des sables bitumineux en Alberta. La Biennale a produit l'oeuvre composée d'un arbre et de pneus usagés de véhicules tout-terrain.

«Pour créer l'oeuvre, on a trouvé des pneus à Mascouche. On a eu besoin d'un arbre avec ses racines, d'un soudeur et de gens de l'Alberta pour que l'artiste puisse réaliser sa vision, explique Sylvie Fortin. Cela donne une belle pièce très singulière.»



The Golden USB

Richard Ibghy et Marilou Lemmens (Canada)

Le duo a entrepris une vaste recherche sur la marchandisation et la commercialisation de la vie. Résultat: une clé USB en or massif s'inspirant du Golden Record des sondes Voyager. Le contenu sera projeté sur écran.

«Mise sous verre, comme un bijou, elle comprend un catalogue de toutes les richesses de la Terre, dit Sylvie Fortin. À quoi assigne-t-on de la valeur et comment l'assigne-t-on? Notamment par notre capacité de comprendre ce qu'un autre pourrait désirer chez nous?»

Présentée à la Galerie Vox



Diving Through Europe


Klara Hobza (République tchèque)

L'artiste effectue des plongées sous-marines dans les cours d'eau européens et en ressort avec des thématiques historiques, géopolitiques et environnementales qu'elle documente en vidéo, photos et objets récupérés. La Biennale a produit sa plus récente plongée à Rotterdam.

«Quand elle est invitée par une Biennale, elle finance sa plongée suivante, explique Sylvie Fortin. Elle présente une installation avec 11 écrans vidéo dans un environnement immersif sonore.»



M&A 


Goldin + Senneby (Suède)

Simon Goldin et Jakob Senneby réfléchissent aux liens entre économie, théâtralité et narration. Pour cette oeuvre, la Biennale a investi 10 000$ à la Bourse.

«Le rendement de cet investissement dicte la durée de l'oeuvre, dit Sylvie Fortin. C'est une traduction en temps réel d'un rendement, soit de la performance financière en relation avec le marché du travail. Ce sera présenté jusqu'à ce qu'on n'ait plus d'argent! S'il y a des profits, ils seront réinvestis dans la Biennale.»

Présenté à la Galerie SBC jusqu'au 22 novembre



Rules of Play 2019-2014

Susan Norrie (Australie)

Susan Norrie utilise l'art comme un outil de commentaire politique. Elle s'intéresse surtout aux désastres environnementaux qui ont frappé la région Asie-Pacifique.

En première mondiale à la Biennale, son installation vidéo évoque une zone frontalière entre le Japon et la Russie, revendiquée par les deux pays en raison de ses ressources pétrolières et gazières. L'artiste aborde des questions environnementales, sociologiques et politiques sur la précarité de la nature et la convoitise des États où les seuls perdants sont les autochtones.

- MARIO CLOUTIER et ÉRIC CLÉMENT