Vin, sexe, misère et jeux de hasard: des aspects de la Rome baroque, dont on ne connaît souvent que la splendeur, sont mis à l'honneur dans une exposition de peinture qui ouvre mardi à la Villa Médicis à Rome.

L'exposition Bas-fonds du baroque - La Rome du vice et de la misère, conçue en collaboration avec le Petit Palais à Paris, montre l'envers du décor du faste baroque de la Ville éternelle du début du XVIIe siècle, tel que l'ont saisi les peintres d'avant-garde français, italiens, flamands ou espagnols qui y convergeaient.

L'exposition, dans laquelle brillent les peintres caravagesques, s'ouvre sur le thème de Bacchus, dieu du vin et de l'excès: le vin coule à flots dans des scènes de banquets orgiaques et de baptêmes sacrilèges.

Mais la taverne festive, qu'illustre la maxime «In Vino Veritas», se transforme en lieu de mélancolie une fois l'ivresse passée. La fête touche à sa fin, les regards des buveurs et des prostituées deviennent inquiets et tourmentés, on y réfléchit à la bassesse des vies dissolues.

Les oeuvres sont dérangeantes ou amusantes, mais toujours insolentes et subversives. On retrouve ainsi plusieurs figures de travestis, dont celle de l'artiste peintre Artemisia Gentileschi affublée d'une moustache.

La série de tableaux dits «du geste de la figue», sont d'une audace inattendue.

«Le geste de la «fica» (en référence au sexe féminin, ndlr) était l'insulte suprême. De motif pornographique discret, il devient le sujet même des tableaux. L'insulte s'adresse directement au spectateur», explique l'historienne de l'art Annick Lemoine, commissaire de l'exposition avec Francesca Cappelletti.

«Ce qui est intéressant, c'est que ces tableaux étaient dans les plus grandes collections, dans les grands palais, dans les maisons des cardinaux. Leur audace était reconnue comme relevant de l'avant-garde», estime Mme Lemoine.

Splendide et misérable

Les bas-fonds reçoivent néanmoins leurs lettres de noblesse dans une série de Portraits des marges.

«Un mendiant qui fixe le spectateur dans les yeux en tendant son chapeau, une gitane avec un enfant représentée comme une madone...», énumère Mme Lemoine. «Ces grands portraits - d'ivrognes, de mendiants - sont une manière de soustraire la représentation du pauvre à ce qu'elle a de traditionnellement grotesque».

La ville, décrite par le cinéaste Pier Paolo Pasolini comme «splendide et misérable», étale enfin ses merveilles dans une série de paysages que viennent rehausser des détails troublants, scabreux ou burlesques, en filigrane.

Au fil des tableaux, une nouvelle carte de Rome se dessine. Une ville de vices et de misère dans laquelle le Caravage même tue un adversaire de jeu en 1606, au Campo Marzio.

«Les artistes ont créé ici même, au pied de la Villa Médicis», déclare Éric de Chassey, directeur de l'Académie de France, soulignant le lien entre l'exposition et la galerie qui l'accueille.

Née d'une collaboration avec le Musée des Beaux-Arts de Paris, cette exposition marque également le jumelage particulier entre les capitales italienne et française.

«Ce printemps, Paris accueillera plusieurs expositions sur le Seicento romain», se réjouit Christophe Lebault, directeur du Petit Palais, rappelant qu'en art, «seule Paris est digne de Rome, et seule Rome est digne de Paris».

Les Bas-fonds du baroque - La Rome du vice et de la misère est visible à Rome jusqu'au 18 janvier, puis au Petit Palais à Paris du 24 février au 24 mai 2015.