Le président-directeur général du tout nouveau Musée canadien pour les droits de la personne, à Winnipeg, a prédit lors de l'inauguration officielle, vendredi, que l'institution suscitera de la controverse: à l'extérieur, des représentants des Premières Nations lui ont donné immédiatement raison.

Quelques dizaines de manifestants ont tenté de couvrir de leurs slogans les discours officiels des dignitaires prononcés à l'intérieur du plus récent musée fédéral, en réitérant leur demande pour une commission d'enquête sur les femmes autochtones assassinées ou disparues au pays, mais aussi en dénonçant les conditions de vie des Premières Nations dans les réserves, notamment. Les manifestants déploraient par ailleurs que ce musée consacré aux droits de la personne ait minimisé, selon eux, le triste sort réservé aux Premières Nations par le Canada.

Le PDG de l'institution, Stuart Murray, a rappelé que le musée soulèvera passions et protestations, qu'il «suscitera des conversations que nous n'avons pas eues encore jusqu'ici».

«Et certaines de ces conversations seront difficiles», a-t-il convenu.

Avant même son inauguration, le musée s'était déjà attiré les critiques de certains leaders autochtones, qui déploraient qu'on ait omis d'utiliser le terme «génocide» pour décrire les politiques canadiennes relatives aux Premières Nations. Le populaire groupe autochtone A Tribe Called Red, qui devait offrir un spectacle ce week-end au musée, s'est retiré de l'affiche en signe de protestation.

Mais d'autres leaders autochtones estiment que le musée permettra au contraire aux Canadiens d'apprendre comment les Premières Nations ont été traités au cours des siècles dans ce pays.

Des groupes canado-ukrainiens ont aussi dénoncé le fait que l'Holocauste occupe une place bien plus importante que la famine provoquée par les Soviétiques en Ukraine dans les années 1930.

L'objectif du musée est de permettre au public d'apprendre plutôt que d'adresser des blâmes, rétorque Stuart Murray.

Le legs d'Israel Asper

Des équipes ont travaillé d'arrache-pied jusqu'à la toute dernière minute, vendredi, pour mettre la touche finale au musée, un projet de 351 millions $ et le résultat de la vision du défunt magnat des médias Israel «Izzy» Asper, fondateur de CanWest Global Communications. L'endroit ressemblait d'ailleurs encore à un chantier de construction lorsque les médias ont eu droit à un avant-goût, plus tôt cette semaine.

Certains écrans vidéo montrant le docteur Henry Morgentaler et ses partisans luttant pour le droit à l'avortement ne fonctionnaient pas encore. Des kiosques installés sous un panneau relatant les moments les plus sombres de l'histoire nationale étaient vides. Une affiche expliquant les plans d'un camp de concentration gisait au sol. Le musée doit ouvrir ses portes au public dans une semaine mais, même alors, certaines salles pourraient nécessiter des «ajouts de dernière minute», admet la porte-parole, Angela Cassie.

Malgré l'agitation, les responsables du musée et les politiciens locaux sont clairement fiers du bâtiment de pierre, d'acier et de verre conçu par l'architecte Antoine Predock. Le but est de faire cheminer le visiteur d'abord dans la pierre sombre des sous-sols puis lentement vers la lumière progressive des étages supérieurs, jusqu'à la tour de l'Espoir, plus haute que la tour de la Paix à Ottawa.

Dans les salles, les conservateurs ont utilisé un savant mélange de discours académique et de haute technologie interactive pour couvrir 2000 ans de développement des droits de la personne dans le monde, avec des écrans couvrant tout un mur mais aussi des salles où règne un silence respectueux. La section consacrée à la Shoah - la seule à thématique unique - est plongée dans une pénombre qui appelle le visiteur au recueillement et à la réflexion.

Gail Asper, qui a repris le projet lors du décès de son père Izzy en 2003, s'est dite «profondément satisfaite» de ce rêve devenu enfin réalité. Une fondation de la famille Asper permettait jusqu'ici à de jeunes Canadiens de visiter des musées américains pour en apprendre davantage sur les droits de la personne.

Les Asper se demandaient alors pourquoi un tel musée n'existait pas encore au Canada. Il aura fallu plus de 10 ans avant d'acquérir un terrain et de recueillir les fonds nécessaires pour lancer le projet. Le budget de construction est passé au fil des ans de 200 à 351 millions $. Le gouvernement fédéral a fourni 100 millions $ pour la construction de l'édifice - le premier musée national du Canada bâti à l'extérieur de la région de la capitale nationale -, tandis que des donateurs privés ont déboursé près de 150 millions $. Le gouvernement du Manitoba et la Ville de Winnipeg ont aussi contribué au projet.

C'est la chanteuse québécoise Ginette Reno qui a interprété l'hymne national du Canada lors de la cérémonie d'inauguration, vendredi.