Le musée du Festival de jazz n'a pas beaucoup fait jaser depuis son ouverture il y a cinq ans. Et pour cause. L'endroit est si modeste qu'on a tendance à oublier jusqu'à son existence. Une dizaine de vitrines, guère plus d'objets: on est loin des projets ambitieux auxquels nous a habitués le FIJM au cours des ans.

Et pourtant. Après la visite, force est d'admettre que ce petit musée, situé en plein coeur du Quartier des spectacles, propose des morceaux de choix qui méritent largement le détour. On peut notamment y voir le veston de Ray Charles, les lunettes de Dave Brubeck, la guitare d'Antônio Carlos Jobim, des croquis de Miles Davis et la robe de Diana Krall.

Mais l'objet le plus étonnant est, de loin, cette perruque ayant appartenu à madame Ella Fitzgerald dans les années 80.

Vous avez bien lu. La perruque d'Ella. La moumoute de madame Fitzgerald. Les faux cheveux de la plus grande dame du jazz se trouvent ici, à Montréal!

L'objet en soi ne paie pas de mine. C'est une petite postiche brune et bouclée comme on en trouve parfois dans des garde-robes de grands-mères. Ou chez le costumier de La petite vie.

Mais apprendre qu'elle fut un temps sur le coco de l'une des plus grandes chanteuses à avoir foulé le sol de la planète vaut à lui seul le prix du billet d'entrée... qui est d'ailleurs de zéro dollar, toutes taxes comprises.

«C'est vrai que c'est spécial. Mais c'est quelque chose qui lui appartenait. Je l'ai toujours connue avec ça», convient Alain Simard, président et cofondateur du FIJM, qui a accompagné La Presse le temps d'une petite visite.

Comment un article aussi improbable s'est-il retrouvé à Montréal? Comment un accessoire aussi intime a-t-il pu aboutir derrière une vitrine de musée?

Pour faire court, le musée cherchait des objets liés à la première visite de la chanteuse au Festival de jazz, en 1983, afin de faire écho à sa photo imprimée dans le programme.

Généreuse, la fondation Ella-Fitzgerald a proposé une dizaine d'articles, notamment des robes, des lunettes, des gants, une veste, des pochettes de disques autographiées et, bien sûr, cette moumoute, que Mme Fitzgerald portait par-dessus ses vrais cheveux, comme le font tant de femmes noires, par coquetterie.

«On prend tout!»

«Quand on a vu les photos et leur inventaire, on leur a dit: on prend tout! raconte Julie Martel, adjointe exécutive d'André Ménard (directeur artistique et cofondateur du FIJM), qui a négocié avec les gens de la fondation. Finalement, ils nous ont prêté la robe de soirée, quatre pochettes d'albums, une photo signée et encadrée, deux partitions et la perruque.»

L'entente entre le musée et la fondation arrive à échéance en 2016, après quoi la perruque redeviendra officiellement agent libre. Mais Alain Simard se dit convaincu que le bail sera renouvelé.

Quand on se rappelle que le FIJM octroie depuis 15 ans un «prix Ella-Fitzgerald», on serait tenté de le croire.

Rappelons qu'Ella Fitzgerald a chanté deux fois au Festival de jazz de Montréal (en 1983 et en 1987), visites dont les deux cofondateurs de l'événement ne gardent que d'heureux souvenirs.

Alain Simard se rappelle une «vieille dame charmante, gentille et respectueuse», à l'opposé de sa consoeur Sarah Vaughan, qui, raconte-t-il, avait «fait ch... tout le monde» lors de son passage au St-Denis en 1983.

Même son de cloche chez André Ménard, qui compte Ella Fitzgerald parmi ses «trois ou quatre plus grands moments» de toute l'histoire du Festival.

«C'était en 1987. Elle commençait à souffrir du diabète qui fait qu'on lui a coupé les deux jambes l'année suivante. C'était le 50e anniversaire de la mort de Gershwin et je lui avais demandé si elle pouvait faire Summertime, dont elle a fait la version la plus éternelle avec Louis Armstrong... Je ne sais pas comment, mais elle avait appris que mon père était mort une semaine avant le début du Festival. Quand elle est revenue pour le rappel, seule avec son pianiste, elle a dit: la prochaine chanson est pour l'organisateur, j'ai entendu dire qu'il vivait des moments difficiles. Puis elle a chanté Summertime. J'étais au fond de la salle. Inutile de dire que ça m'a tiré les larmes... Je me souviens bien plus de ça que de sa perruque!»

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L'Expo Bell des légendes du Festival est situé dans la Maison du Festival Rio Tinto Alcan, au 305, rue Sainte-Catherine Ouest.