Les directeurs des grands musées québécois sont courroucés. Québec leur a annoncé début juin son intention de réduire d'environ 3 millions les subventions annuelles accordées à leurs institutions. Le Musée national des beaux-arts du Québec, les Musées de la civilisation, le Musée des beaux-arts de Montréal et le Musée d'art contemporain de Montréal réclament une réflexion sur les aides de l'État à la culture.

Depuis que Nathalie Bondil est en poste à la direction du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), elle s'est toujours fait un devoir de ne pas commenter publiquement les compressions successives que l'organisme à but non lucratif a dû encaisser dans la foulée de décisions en provenance de Québec.

Mais cette année, «ça suffit!», dit Mme Bondil, qui, avec ses trois autres partenaires muséaux, rejette les compressions qui leur ont été imposées sans autre forme de procès. «Je ne suis pas du genre à me plaindre, mais là, ce sont des coupes à répétition», dit-elle en entrevue à La Presse.

Déposé auprès du gouvernement en novembre dernier, le rapport du Groupe de travail sur l'avenir du réseau muséal, coordonné par Claude Corbo, soulignait que les musées québécois manquent cruellement de financement. Le rapport recommandait d'allouer 6 millions aux quatre grands musées afin de compenser la non-indexation de leurs subventions depuis 1995.

Le Musée de la civilisation, à Québec, touchait 18,4 millions du gouvernement en 1995, contre 17,9 millions aujourd'hui, alors qu'il a été agrandi depuis avec l'ajout de pavillons. Pour le MBAM, les 15,9 millions de 1995 sont passés à 14,8 millions aujourd'hui, malgré une croissance de son offre.

«On s'était ajustés à la ronde de compressions précédente en coupant l'accès gratuit à la collection, mais là, on va être obligés de couper dans les services éducatifs. Et si on exclut les jeunes des musées, ils n'y viendront plus», a souligné la directrice du MBAM.

Nathalie Bondil rappelle que ces musées ne sont pas des lieux de profit. «On ne génère pas de l'argent. Notre capital, ce sont les collections et le public», dit-elle. La directrice affirme que les expositions itinérantes, comme celle de Jean-Paul Gaultier, permettent au MBAM de forger d'autres projets internationaux, le marché québécois étant trop restreint pour s'en contenter.

Malgré son succès international et sa gestion performante, le MBAM a mis à pied le tiers de ses effectifs depuis 20 ans. «Les gens ne s'en rendent pas compte, car on est très productifs», dit Mme Bondil.

Une «coupe à blanc»

Vu les coûts de fonctionnement incompressibles (chauffage, entretien, sécurité, taxes), les nouvelles compressions menacent la survie des Musées de la civilisation, à Québec, explique son directeur Michel Côté. 

«On tient les institutions muséales pour acquises parce qu'elles performent, dit-il. Mais on devra couper des postes et fermer le Musée de l'Amérique francophone les mardis et mercredis. Il n'y aura pas de nouvelle exposition, donc moins de retombées. Québec se prive d'argent pour chaque dollar qu'il comprime.»

Pour Alexandre Taillefer, président du CA du MAC, l'effort demandé à son organisme est une «coupe à blanc» qui va l'obliger à fermer la médiathèque du musée. 

«Au Québec, l'enjeu fondamental est aujourd'hui d'encourager les organismes culturels à être performants et à développer leurs revenus autonomes, dit-il. La chose la plus simple à couper, c'est le marketing, mais si on le coupe, cela entraîne moins d'entrées. Il faut que Québec arrête de saupoudrer et fasse des choix.»

Nathalie Bondil ajoute que Québec doit éviter de creuser les déficits d'organismes culturels performants pour combler ceux d'autres organismes.

«C'est un cercle vicieux, dit-elle. Il faut un modus operandi pérenne. Il est difficile de se projeter dans l'avenir en ayant en permanence une épée de Damoclès sur la tête. Les grandes institutions ne peuvent être fragilisées à répétition, car ça affaiblit également la confiance de nos donateurs.»

Les directeurs de musées attendent toujours de rencontrer la ministre de la Culture, Hélène David, «qui s'est fait imposer ces compressions par le Conseil du trésor», dit Alexandre Taillefer.

«Le gouvernement va devoir faire des choix cornéliens, dit-il. On ne peut pas tout soutenir, mais on ne met pas assez d'argent dans la culture. Il faut que le Ministère implante une culture de performance et de développement de la clientèle. Sinon, on va tous crever.»

Les compressions spéciales aux quatre grands musées

Musées de la civilisation de Québec: 944 000$

Musée des beaux-arts de Montréal: 700 000$

Musée national des beaux-arts du Québec: 550 000$

Musée d'art contemporain de Montréal: 445 000$