Présentée en exclusivité nord-américaine à Ottawa du 13 juin au 14 septembre, l'exposition Gustave Doré: l'imaginaire au pouvoir, conçue par le musée d'Orsay de Paris et le Musée des beaux-arts du Canada, est un des événements marquants de l'année muséale et l'occasion de retrouver ou de découvrir le talent exceptionnel de cet artiste français, l'un des plus prodigieux du XIXe siècle.

Gustave Doré (1832-1883). Voilà un artiste exemplaire tombé un peu dans l'oubli malgré la reconnaissance internationale qu'il a obtenue de son vivant et l'influence qu'il a eue après sa mort sur l'image moderne, notamment le cinéma et la bédé.

«Il n'a pas la notoriété qu'il mérite, dit en entrevue Paul Lang, conservateur en chef du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) et cocommissaire de l'exposition. On a donc un devoir de le réhabiliter.»

Autodidacte, cultivé et précoce (il a 14 ans quand il dessine La barque de Caron, une oeuvre qui annonce son sens de la théâtralité), Gustave Doré avait tous les talents artistiques. Violoniste, c'est le dessin qu'il embrasse pourtant dans sa jeunesse avant d'aborder par la suite la caricature, l'illustration, la peinture, la gravure et la sculpture.

La dernière rétrospective majeure qui lui a été consacrée remonte à 1983, au Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg. Philippe Kaenel, professeur à l'Université de Lausanne et grand spécialiste européen de Gustave Doré, s'est associé aux équipes du musée d'Orsay et du Musée des beaux-arts du Canada pour célébrer cet artiste hors du commun.

Sept sections

Un premier volet de l'exposition a été présenté à Paris ce printemps. L'hommage se poursuivra à Ottawa avec une présentation en sept sections: les sculptures de Gustave Doré, ses caricatures, ses illustrations de livres, ses paysages, ses créations liées aux événements de 1870, ses oeuvres résultant de ses voyages en Espagne et à Londres et ses peintures religieuses.

L'exposition débutera avec trois oeuvres essentielles: le monumental vase Le Poème de la vigne (4 m de haut), qui trône d'ordinaire à l'entrée du De Young Museum de San Francisco, le plâtre La Gloire étouffant le Génie, qui évoque le thème de l'artiste maudit, et la pendule Le Temps fauchant les amours, un bronze doré et ciselé.

Travailleur acharné, Doré est réputé pour ses illustrations d'ouvrages littéraires (Dante, Rabelais, La Fontaine, Cervantès, Perrault) et de la Bible. Elles demeurent une référence.

«Quand l'illustration du livre Don Quichotte a été éditée, Émile Zola - qui était un critique difficile - avait écrit qu'il y avait désormais deux génies dans cette édition, Cervantès et Doré, dit Édouard Papet, cocommissaire de l'exposition et conservateur en chef au musée d'Orsay, rencontré à Paris. Doré était le grand illustrateur du XIXe siècle.»

Toutefois, alors que l'impressionnisme fait ses débuts au milieu du XIXe siècle, la peinture de Doré, plutôt académique, n'a pas, en France, la reconnaissance qu'il aurait souhaité. L'accueil a été plus enthousiaste en Angleterre.

La seule peinture que Paris lui achètera de son vivant a été Les martyrs chrétiens, une huile de 2,1 m x 1,4 m décrite par un critique français comme pourvue de «lumières sinistres, livides, orageuses» faites pour le théâtre.

C'est le plus grand compliment qu'on pouvait faire à Doré, grand dramaturge de l'expression artistique.

D'ailleurs, le cinéma lui rendra grâce. Nombre de réalisateurs, tels que Georges Méliès, Cecil B. DeMille, Jean Cocteau, George Lucas, Roman Polanski ou Terry Gilliam, se sont inspirés de ses oeuvres. Ils ne sont pas les seuls. Van Gogh, lui-même, a presque décalqué La cour de prison de Newgate - faite dans les années 1870 par Doré - pour peindre sa Ronde des prisonniers en 1890. Et Picasso s'est inspiré des Saltimbanques (1874) de Doré pour en créer une version en 1905.

Intérêt pour les voyages

Ses peintures de paysages sont aujourd'hui hautement considérées, tout comme son oeuvre documentaire. Gustave Doré avait un intérêt pour les voyages. Il en a retiré nombre de créations sur les laissés-pour-compte, que ce soit les pauvres d'Angleterre et d'Espagne, ceux de la Commune de 1870 ou... ceux de la mythologie. Il ne s'intéresse en effet pas du tout aux dieux de l'Olympe, mais aux Titans.

Novateur, curieux et original, Doré pouvait même avoir un langage qu'on qualifierait aujourd'hui de contemporain, comme dans le cas de cette tache rouge sang dessinée en 1854 - il a alors 22 ans - dans un ouvrage sur la Sainte Russie pour illustrer les crimes du tsar Ivan le Terrible, qui vécut au XVIe siècle.

«Cette exposition rappelle que l'art français du XIXe siècle, ce n'est pas seulement l'impressionnisme, dit Paul Lang. Gustave Doré a cohabité avec l'impressionnisme. Il est d'ailleurs fascinant de constater qu'il est né la même année et est mort la même année que le peintre Édouard Manet!»

Pour mieux saisir la richesse de l'oeuvre de Gustave Doré avant de visiter l'exposition, les deux musées ont édité un catalogue exceptionnel de 336 pages richement illustré. La Presse a constaté que le parcours n'en est que plus passionnant...

Dans les mots d'un autre

«Rien n'est curieux comme de le voir travailler dans son immense atelier de la rue Bayard. Comme en se jouant, sans effort, il passe de l'ébauchoir au pinceau, prend ses crayons, les quitte, saisit un violon, instrument qu'il adore et dont il se sert à merveille. Tout cela simplement, tranquillement, au milieu des saillies d'une conversation qu'il sait tour à tour rendre spirituelle, éloquente, paradoxale ou doucement poétique.» - Le peintre Léon Lhermitte à propos de Gustave Doré, en 1880

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Du 13 juin au 14 septembre, au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa.