Pierre Soulages se sait plus connu à travers le monde que dans sa ville natale de Rodez qui lui dédie aujourd'hui un musée. Mais quand on le désigne comme «le plus grand peintre français» vivant, il répond, à 94 ans: «1,90 m, c'est vrai. Un peu moins maintenant parce que je me tasse».

Chevelure blanche et silhouette noire, debout devant un immense tableau noir: c'est ainsi que l'on se représente l'artiste «mondialement connu pour la domination du noir dans ses peintures» abstraites. Et c'est ainsi que Soulages apparaît, mercredi, devant la foule des journalistes français et étrangers venus, deux jours avant l'inauguration du musée dans cette ville du sud-ouest de la France en présence du président François Hollande, découvrir le lieu et les 250 oeuvres données par le peintre.

Mais ce noir-là est bien plus que du noir... Il émane bien de ses tableaux cette «présence», cette «lumière réfléchie par des états de surface du noir» dont il parle mieux que personne depuis des décennies.

Dix heures du matin: le peintre invite l'éclairagiste espagnol Miguel Moran à un dernier réglage pour «mieux répartir la lumière» sur l'un de ses 21 grands Outrenoir peints entre 1979 et 2011 et exceptionnellement prêtés par de grands musées européens. Ici, en fonction de la modulation très subtile de la lumière et de la façon dont se place le visiteur, le noir apparaît quasiment doré; là, presque argenté; et ailleurs, comme arraché pour mieux laisser affleurer le blanc.

«Aux visiteurs qui ne me connaissent pas, il faut demander de regarder avec les yeux et non pas avec ce qu'ils ont dans la tête», dit le peintre qui enchaîne les entretiens, assis ou debout, toujours disert. Au centre Pompidou à Paris, lors de l'exposition de 2010 qui avait attiré 500 000 visiteurs, «beaucoup de gens ont pleuré devant mes toiles, ça prouve que ça les remuait assez profondément».

Rodez, il y est né en 1919, dans un quartier d'artisans proche de l'actuel musée. L'adolescent aveyronnais pêche, joue au rugby et peint, des arbres dénudés des Causses ou des paysages de neige «à l'encre de Chine», rappelle le conservateur Benoît Decron dans la première salle.

«On saura où est Rodez»

Puis vient la peinture contemporaine, son second «lieu de naissance». Pierre et Colette Soulages s'installent en 1946 à Courbevoie, proche de Paris, dans un minuscule appartement-atelier; il expose cette année là une peinture à l'huile, aux lignes courbes et aux tons de jaune, vert, rouge, gris et noir, au salon des Surindépendants de Paris.

Depuis, le peintre a apprivoisé cette «renommée» dont la presse lui rebat les oreilles: «Un musée à Rodez, c'est très bien (...) mais je suis encore beaucoup plus content de voir des oeuvres de moi dans les musées européens, asiatiques ou américains», dit-il aux journalistes dans l'auditorium du musée. Et il relate une anecdote datant de 1976.

Les plus grands conservateurs de musée européens lui avaient décerné un prix prestigieux en lui demandant où il voulait qu'il lui soit remis: «Pourquoi pas Rodez, avais-je demandé. La réponse avait été: «Qu'est-ce que c'est que ça, Rodez?»»

«Grâce à M. Soulages, on saura où est Rodez!», dit le maire socialiste Christian Teyssèdre. Il rappelle que la ville (27 000 habitants) et l'agglomération ont financé la majeure partie du musée (d'un coût total de 25 millions d'euros) et se plaint de la maigreur du financement de l'État (4 millions) pour un tel projet.

Mais Pierre Soulages sera «une tête de pont en terme de marketing territorial pour faire venir du monde». Le peintre - peut-être agacé - n'ajoute rien, imperturbable derrière ses lunettes... noires.