Six mille petits tabourets en bois alignés, une tour de vélos géante, une cellule de prison reconstituée: la plus grande exposition jamais consacrée à Ai Weiwei s'ouvre jeudi à Berlin, avec un grand absent, l'artiste et dissident qui n'a pas le droit de quitter la Chine.

Car trois ans après sa spectaculaire arrestation, Ai Weiwei, qui a passé 81 jours en prison, attend toujours de récupérer son passeport qui lui a été confisqué par les autorités chinoises.

«Mon objet préféré dans l'exposition, c'est le fait que je n'ai pas le droit d'y participer. C'est une oeuvre d'art en soi», lançait-il récemment dans un entretien à la presse allemande. «Combien d'expositions dans le monde y-a-t-il où l'artiste exposant n'est pas là car il n'en a pas le droit?»

En Allemagne, «les amis d'Ai Weiwei», essentiellement des personnalités du monde de l'art, ont récemment appelé la chancelière Angela Merkel à intercéder auprès de Pékin pour qu'il puisse quitter son pays.

Mais rien ne semble avoir bougé, même après la visite à Berlin il y a moins d'une semaine du président chinois Xi Jinping. Mercredi, la veille de l'ouverture de l'exposition, la ministre allemande de la Culture, Monika Grütters, a «appelé le gouvernement chinois à accorder enfin à Ai Weiwei la liberté de voyager».

Et dans une vidéo montrée le même jour par le musée Martin Gropius où il expose, l'artiste a déclaré «espérer toujours venir et pouvoir donner quelques explications» sur les oeuvres d'art présentées.

Libéré sous caution le 22 juin 2011, après avoir été accusé entre autres de «fraude fiscale» et pornographie, le plasticien contestataire de 56 ans s'est fait un nom en dehors de son pays en dénonçant les violations des droits de l'Homme.

Dans son exposition intitulée Evidence, l'artiste montre des «objets qui documentent, tels des indices dans un procès, sa vie et ses activités artistiques».

Il a ainsi reconstitué grandeur nature la cellule dans laquelle il a été interné, éclairée d'un néon violent 24 heures sur 24, et surveillée en permanence par deux gardiens, enfermés dans la même pièce que lui. Le visiteur peut y entrer, découvrir son petit lit blanc, la table sur laquelle il mangeait et la spartiate salle de bains adjacente.

Ai Weiwei fait également une oeuvre d'art d'un conflit politique en montrant, sculpté dans le marbre, l'archipel inhabité des Senkaku, des îles de mer de Chine orientale administrées par les Japonais mais revendiquées par les Chinois sous l'appellation Diaoyu.

La roche de couleur grise qu'il a choisie n'est autre que celle des carrières de Pékin, dans laquelle les empereurs firent bâtir la Cité interdite et les dirigeants communistes le mausolée de Mao.

Dans la cour du musée, des milliers de petits tabourets en bois alignés, utilisés par les paysans depuis la dynastie des Ming (1368-1644), sont censés refléter, selon l'artiste, tel une multitude de petits pixels, l'esthétique de la Chine rurale.

Aucune de ces oeuvres ne peut être exposée en Chine, Ai Weiwei y étant interdit. Une situation avec laquelle l'artiste a toujours vécu. Son père, un poète chinois dissident, Ai Quing, «n'eut pas le droit d'écrire pendant vingt ans», se souvient Ai Weiwei. «Ma situation pourrait être pire. (...) Je peux encore exercer mon art», estime-t-il.

En juillet 2011, l'Université des Arts (UdK) de Berlin lui avait proposé un poste de professeur invité qu'il avait accepté. Mais faute de passeport, il n'a jamais pu l'occuper.

Devant le musée Martin Gropius, les organisateurs de l'exposition ont fixé un vélo équipé d'un petit panier. Chaque jour, ils comptent remplir de fleurs ce dernier, jusqu'à ce qu'Ai Weiwei soit autorisé à venir.