Faute d'enregistrement, la Première Guerre mondiale restera aussi insonore pour les générations futures que les guerres napoléoniennes ou la guerre de Cent ans: pourtant l'historial de Péronne, dans le nord de la France, ambitionne de la faire «entendre autrement» dans une exposition qui s'ouvre vendredi.

«Jamais nous n'entendrons comme les soldats l'ont entendu le bruit terrifiant des 2000 bouches à feu» tirant des millions d'obus durant la semaine de préparation de la grande offensive britannique de 1916 sur la Somme, explique l'un des deux commissaires de l'exposition Entendre la guerre, sons, musiques et silence en 14-18, Frédérick Hadley.

La cause? Si le cinéma existait, il était muet, faute de synchronisation des images et du son. Les reportages des belligérants sur le front étaient donc privés d'une dimension essentielle.

Un enregistrement, comme celui du discours du 4 août 1914 au peuple allemand du Kaiser Guillaume II, n'a subsisté que parce qu'il a été réenregistré en studio, après coup.

Rien donc sur le staccato des mitrailleuses allemandes ou les aboiements secs des canons français de 75 fauchant les vagues d'assaut des pantalons rouges et des feldgrau à l'été 14, le chaos généralisé des charges hors des tranchées, le vacarme assourdissant des duels d'artillerie.

Seul un enregistrement de l'armée britannique, présenté comme celui d'un bombardement d'obus de gaz devant Lille, a été mis sur disque microsillon. Mais son authenticité est contestée, car les moyens techniques correspondants n'existaient pas.

La réalité sonore des combats n'a été approchée qu'après-guerre, en particulier dans un documentaire fiction, «Verdun, vision d'histoire» tourné en 1929 par le Français Léon Poirier. «Un travail maniaque de reconstitution avec le bruit», a souligné M. Hadley.

Autre essai, la transposition à l'écran du roman d'Erich Maria Remarque par le réalisateur américain Lewis Milestone, est sorti en 1930 avec une sonorisation supervisée par d'anciens combattants.

L'irruption du jazz

De toutes ces restrictions sur le son réel de la guerre, «cette confrontation de soldats venus souvent de la campagne à une guerre industrielle au vacarme sans précédent», qui en a exposé beaucoup à la surdité, l'exposition fait évidemment état, mais son intention est de «livrer une interprétation» évocatrice d'une époque, souligne M. Hadley.

D'où ce plongeon du visiteur «dans un univers sonore révélateur d'émotions», ce qui est l'objectif de la bande son créée par le compositeur Luc Martinez, où, dit-il, il a mêlé ce que l'on sait des bruits de la guerre.

C'est aussi des témoignages d'anciens combattants, des enregistrements posthumes d'extraits de carnets de soldats, des affiches sur les musiques militaires, sur fond de bruits d'avion et de discours politiques, de partitions de grands compositeurs, avec l'omniprésence des chants patriotiques chez tous les belligérants. Sans parler de La Marseillaise interprétée en France à la fin de tous les spectacles.

C'est encore l'harmonica allemand Hohner «de tranchée», dont l'écho retentit par dessus le no man's land de désolation jusqu'à ceux d'en face. C'est enfin l'irruption du «jass» (qui deviendra bientôt le jazz) avec la venue des soldats noirs américains. L'un des interprètes dira prophétiquement à la vue d'une sexagénaire française commençant à danser sur un de ses airs: «J'ai compris que la musique américaine aller dominer le monde».

Il y a également le silence. Effrayant quand il précède l'attaque, funèbre après la sonnerie aux morts.

L'une des pièces les plus émouvantes est une reproduction d'un document confié par le musée impérial de la guerre de Londres, un «sonogramme» ayant enregistré l'amplitude sonore : une minute avant l'armistice du 11 novembre 1918, la ligne subit encore de fortes oscillations, une minute après, elle est plate.