L'élégant musée Neue Galerie de New York consacre une fascinante et terrifiante exposition à l'une des plus célèbres et infâmes expositions d'art du XXe siècle, celle organisée en 1937 par le régime nazi à Munich pour diaboliser l'art dit «dégénéré».

En juillet 1937, deux expos ouvrent coup sur coup à Munich. L'une, intitulée La grande exposition de l'art allemand, présente des pièces approuvées par le régime nazi. L'autre, intitulée Art dégénéré, propose des oeuvres considérées comme impures. Environ 600 oeuvres d'art moderne, dont des pièces d'Otto Dix, Marc Chagall, Wassily Kandinsky, Max Ernst et Paul Klee, y sont entassées les unes contre les autres, à la façon d'un freak show.

«Les deux expos se déroulaient à proximité et pouvaient se visiter dans la même journée», indique Rebecca Lewis de la Neue Galerie.

Si le musée new-yorkais s'intéresse principalement à la genèse du show Entartete Kunst (Art dégénéré), il dédie toutefois une salle aux contrastes entre les deux expositions munichoises de 1937.

D'un côté de la salle, on retrouve quelques pièces «officielles» plébiscitées par Hitler, notamment le triptyque Les quatre éléments d'Adolf Ziegler montrant quatre nymphes, blondes, nues, idéalement proportionnées. De l'autre, on peut voir des pièces d'art moderne comme le triptyque Le départ de Max Beckmann, montrant des scènes torturées, peintes à la manière expressionniste.

Pour le régime nazi, l'expo Art dégénéré se veut un exercice de propagande, une manière d'attiser la haine, de diaboliser certaines formes d'art associées au modernisme, aux juifs et aux bolchevistes. À cette époque, le régime saisit les oeuvres «barbares» dans les musées du pays, les ridiculise en public avant de s'en défaire ou de les détruire.

Les prémisses de l'Holocauste sont évidemment bien présentes dans cette forme de purge artistique. L'étroit couloir qui mène à l'exposition souligne d'ailleurs le phénomène en deux immenses agrandissements photographiques. D'un côté, on voit une foule faire la file pour assister à une des expos d'«art dégénéré» (plus d'une dizaine auront lieu entre 1937 et 1941). De l'autre, on voit une foule de prisonniers arrivant au camp de concentration d'Auschwitz en 1944.

«La honte» exposée

L'expo Entartete Kunst de Munich fut la première à porter ce nom et la plus importante en son genre. Elle compte toutefois des précurseurs. Dès l'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933, des «expositions de la honte» ont été organisées aux quatre coins de l'Allemagne. Leur but? Toujours le même: diaboliser et se moquer de l'art moderne (cubisme, expressionnisme, dada, Bauhaus, abstraction, etc.), des bolchevistes et des juifs.

Une salle est d'ailleurs consacrée à l'une de ces toutes premières «expositions de la honte», organisée à Dresde en 1933. Dans la ville, berceau de l'expressionnisme, la Ligue militante pour la culture allemande s'était alliée à des artistes de troisième ordre jaloux du succès des artistes d'avant-garde pour ridiculiser le travail de ces derniers.

Les oeuvres d'Otto Dix y avaient été vivement attaquées. Ses peintures, notamment ses représentations de la guerre, étaient considérées comme défaitistes et pas suffisamment patriotiques.

Une autre salle est quant à elle consacrée au mouvement Bauhaus, une autre école condamnée par le parti national-socialiste. On peut notamment y voir une chaise de Mies Van Der Rohe et des peintures de Paul Klee, deux artistes qui, comme tant d'autres, ont été forcés à l'exil.

En tout, plus de 20 000 oeuvres dites «dégénérées» ont été retirées des musées allemands par les nazis entre 1933 et 1941. Du lot, plus de 5000 ont été détruites et bon nombre sont encore portées disparues. L'expo de la Neue Galerie présente 80 oeuvres, dont une vingtaine ont été présentées spécifiquement à l'expo Art dégénéré de Munich.

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Degenerate Art: The Attack on Modern Art in Nazi Germany, 1937 est à l'affiche jusqu'au 30 juin.