Chef-d'oeuvre vidéographique d'une durée de 24 heures, The Clock, de l'artiste d'origine suisse et américaine Christian Marclay, connaît un succès planétaire. L'oeuvre lui a valu le Lion d'or du meilleur artiste à la Biennale de Venise de 2011 et a été présentée à Londres, New York, Jérusalem, Ottawa, Séoul, Venise, Moscou et Toronto avant de l'être au Musée d'art contemporain de Montréal (MAC) jusqu'au 20 avril.

The Clock est un film de films et, en même temps, une montre où à chaque position des aiguilles correspond une série d'images.

L'oeuvre est composée de milliers d'extraits de films du monde entier, la plus grande partie de ces extraits se référant au temps. Acteurs qui consultent leurs bracelets-montres, plans rapprochés sur la pendule du salon, horloges de clochers, de gares, de stations de métro ou d'aéroports, réveille-matin, cadrans solaires, etc. Les images reliées à l'heure défilent par dizaines à la minute.

D'ailleurs, quand commence la projection, le système de The Clock calcule l'heure exacte qu'il est dans la salle. Ainsi, quand vous voyez 10 h 33 sur un cadran dans le film, il est 10 h 33 à votre montre.

La Presse a visionné la partie de The Clock allant de 10 h 30 à 11 h 40. À 10 h 30 sur notre iPad, il était 10 h 30 à la montre de l'inspecteur Columbo (Peter Falk) sur l'écran.

Durant notre période de visionnement, nous avons ainsi pu retrouver des extraits de plusieurs dizaines de films et autant d'acteurs: Laurel et Hardy, Charles Bronson, Matt Damon, Michael Douglas, Humphrey Bogart, Marlon Brando, Sylvie Testud, Jean-Marc Barr, Robert Redford, sans compter tous ceux et celles dont on ne se rappelait pas le nom...

On découvre durant The Clock combien le temps peut avoir de significations. L'attente, l'urgence, le stress, le drame, le réveil matinal, les rendez-vous professionnels: l'heure génère une multitude d'attitudes qui rythment nos vies. Des attitudes que The Clock diffuse par tranches horaires.

En effet, chaque temps de la journée a ses propres actions dans nos vies. Même chose dans The Clock. Si l'on va voir l'oeuvre tôt le matin, il y aura un grand nombre de scènes de personnages qui se réveillent, déjeunent et vont travailler. Si vous allez voir The Clock entre 23 h et 4 h du matin, vous aurez droit à des extraits de films très différents - et sûrement des films d'horreur!

L'oeuvre est passionnante, car elle crée son propre suspense. On retrouve un extrait d'un film qu'on a vu quelques minutes auparavant, avec l'étrange impression que le film s'est poursuivi de son côté pendant notre visionnement.

Certains extraits n'ont aucune référence temporelle exacte. Ils servent à raccorder deux autres extraits plus longs. Le montage réalisé par Christian Marclay est très efficace. Dans une scène, une actrice fait tomber son gant par terre. Quand elle se relève, son regard se porte à sa droite. Marclay embraie alors avec l'image d'un autre film: un homme en train de téléphoner dans une cabine. Deux films différents, mais une impression de continuité.

Le fait qu'on ne puisse pas, physiologiquement parlant, voir le film en entier compte tenu de sa longueur (il faut bien faire une pause, à un moment donné, pour aller aux toilettes!) n'a pas d'importance. Toutes les parties de l'oeuvre ont leur intérêt. Le film n'a ni début ni fin. Rien à voir avec un film «normal» pour lequel les spectateurs entrent et sortent a priori ensemble de la salle.

Christian Marclay a raconté à La Presse qu'à l'issue d'une projection de l'oeuvre, une spectatrice avait demandé à sa sortie quelle heure il était! «Elle n'avait rien compris, même si elle était restée une heure. En fait, elle était prise par l'action du film.»

Le Musée d'art contemporain projettera The Clock jusqu'au 20 avril aux heures d'ouverture du musée et cinq fois en continu durant au moins 24 heures (voir ci-dessous). Le musée n'a prévu que 36 places assises pour les spectateurs. Mais Christian Marclay a dit à La Presse qu'il pouvait y avoir des spectateurs debout derrière les 12 fauteuils de trois places. Autant dire que pour avoir la chance de voir une partie de l'oeuvre, il faudra arriver... à l'heure et sans doute attendre un peu. Avoir un livre dans la file d'attente peut éviter de perdre... son temps.

Projections de 24 heures ou plus

> De vendredi soir, 18 h, à samedi, 18 h

> Du samedi 1er mars à 11 h au dimanche 2 mars à 18 h (durant la Nuit blanche)

> Du vendredi 7 mars à 11 h au samedi 8 mars à 18 h

> Du vendredi 4 avril à 11 h au samedi 5 avril à 18 h

> Du samedi 19 avril à 11 h au dimanche 20 avril à 18 h

www.macm.org

Entretien avec Christian Marclay

Plasticien, vidéaste, musicien et compositeur, Christian Marclay a travaillé durant trois ans avec son équipe d'assistants pour créer The Clock. Reconnu pour ses recherches sur les liens entre sons et images, l'artiste de 58 ans a voulu, avec cette oeuvre, explorer le passage du temps dans nos vies. Notre journaliste Éric Clément lui a posé quelques questions sur son travail.

D'où est venue l'idée de The Clock?

Il arrive un moment dans notre existence où on sent que le temps passe trop vite. C'est une réflexion qu'on a dans la cinquantaine. Et puis le temps est essentiel pour moi dans la musique, car elle se décline dans le temps, comme John Cage l'avait si bien exprimé dans son oeuvre 4'33 (4 minutes 33 secondes). C'est donc une oeuvre tant visuelle que sonore sur le temps.

C'est donc dans la continuité de vos travaux de mixage de sons et de musiques ainsi que d'échantillonnages?

Tout à fait. J'ai développé mes habiletés en montage et en échantillonnage en commençant avec le son, avec mes mélanges de DJ. C'est ce qui m'a permis de comprendre comment on peut créer une sorte de continuité, même dans le désaccord. On a tellement l'habitude que tout soit coupé-collé dans notre quotidien avec les images de télévision.

The Clock est un hommage au cinéma et à l'obsession du temps chez l'être humain?

Je ne sais pas si on est plus obsédés par le temps aujourd'hui que dans le passé, mais on le mesure plus qu'avant avec nos montres, nos téléphones, nos ordinateurs. Nos vies sont un peu chronométrées et d'une façon nouvelle.

A-t-il été difficile de trouver ces milliers d'extraits de films pour construire The Clock?

Je me suis occupé du montage et mes assistants ont fait la recherche. Regarder des films toute la journée est un boulot assez agréable! J'avais en moyenne six assistants.Ils devaient chercher des images dans des westerns américains, des films japonais, français, des films de Bollywood, etc. Il fallait avoir le plus de diversité possible dans le genre et dans les langues puisque la bande-son est la trame sonore originale.

A-t-il été fastidieux de faire en sorte que l'heure dans le film soit la même que celle de la montre du spectateur?

C'est trois ans de montage tous les jours! Ç'a été très fastidieux. Mais j'espère que quand on regarde The Clock, on ne pense pas tellement à cet aspect et qu'on se laisse prendre par l'action.

Avec The Clock, on réalise que le temps correspond à une multitude d'attitudes que l'on a dans nos vies...

Oui, on se lève à peu près à la même heure, on mange aux mêmes heures. On est très dépendants de ce rythme complètement artificiel. Le soleil dicte un certain rythme, mais on vit aussi beaucoup au rythme de nos iPhone.

Avez-vous privilégié des acteurs ou des réalisateurs que vous aimiez?

Absolument pas. C'est toujours l'extrait qui déterminait le choix.

Qu'est-ce qui vous a intéressé particulièrement dans la réalisation de ce projet?

J'ai trouvé ça intéressant par rapport aux vidéos qu'on peut voir dans les galeries d'art. On ne sait jamais si la vidéo vient de commencer ou si c'est presque la fin. Je voulais créer quelque chose qui soit en boucle et qui puisse s'apprécier à n'importe quel moment sans qu'on ait l'impression d'avoir manqué quelque chose.

Comment avez-vous fait pour assurer une fluidité sonore si naturelle?

C'était essentiel, comme la colle qui tient le tout. Le son, c'est plus facile que l'image, car on peut mélanger deux sons et en obtenir un troisième, ce qu'on ne peut pas faire avec l'image.

Vous n'avez pas eu de problèmes de droits pour utiliser tous ces extraits de films?

Non, ça constitue du fair use («usage loyal»), puisqu'on crée quelque chose d'unique à partir des extraits. Si j'avais filmé tout ça, ça aurait été très ennuyeux. C'est parce qu'on reconnaît les films que ça rend le projet intéressant.

Vous avez eu des exigences particulières pour la projection de The Clock?

La seule chose que j'ai demandée, c'est que ça ne soit pas une salle de cinéma. Il faut un espace où les gens puissent rester longtemps, assis confortablement, qu'ils puissent entrer et sortir sans déranger leurs voisins. Les gens peuvent rester debout derrière. Moi, je suis content quand il y a beaucoup de monde.

Mais vous ne tenez pas à ce qu'on reste trop longtemps...

 Des fous sont restés pour essayer de tout voir. Ce n'est pas un marathon. On a aussi une vie en dehors du film! Ces choix que vous allez faire quant à l'instant où vous allez voir The Clock sont des choix personnels. Vous devenez acteur dans le cadre de cette installation. Dois-je partir maintenant? Attraperai-je mon autobus à l'heure si je reste encore cinq minutes? Ces questions sont importantes, car elles vous engagent dans ce mécanisme.

Cette oeuvre est devenue une sorte de référence temporelle dans votre carrière...

Elle est aussi devenue un handicap! (Rires.) Je fais tellement de choses: de la musique, de la performance, de la peinture... J'espère que ce travail va stimuler la curiosité des spectateurs pour les autres choses que j'ai réalisées.

PHOTO MARTIN ROY, LEDROIT

Christian Marclay présente son oeuvre The Clock, un montage de scènes de films d'une durée de 24 heures projeté en temps réel, au Musée d'art contemporain de Montréal.