Avant d'être reconnu pour ses tableaux paysagistes maillés, Martin Bourdeau avait exploré une autre voie: celle de la signification poétique des noms des couleurs commerciales. Une étude minimaliste de la peinture qu'il présente jusqu'au 8 mars à la galerie Division.

De 2002 à 2007, Martin Bourdeau a créé des tableaux abstraits en utilisant les peintures d'entreprises telles que Benjamin Moore, Bétonel, Sico, Martha Stewart, Ralph Lauren, Pratt & Lambert, CIL, MF ou Canadian Tire. Ces oeuvres n'avaient jamais été rassemblées à Montréal. Elles révèlent le goût archéologique de cet artiste de 42 ans qui se plaît, depuis 20 ans, à explorer l'histoire de l'art avec ascèse et humour à la fois.

L'exposition s'ouvre avec son tableau Épuisé Chut!, dans lequel il a peint les noms de plusieurs couleurs de ces entreprises telles que «Illusion», «Rêve», «Disparu», «Songe» ou «Chut!» «J'ai choisi ces noms pour ce qu'ils évoquent dans le vocabulaire de l'art et pour la poésie de leur évocation par rapport à la peinture, dit Martin Bourdeau. C'est très ambigu comme référence, car quelle est la couleur de l'illusion ou celle du songe? Ça me permettait d'analyser la peinture à travers ces noms.»

Avec cette même charte de couleurs, il a créé une série de 12 tableaux monochromes, indiquant le nom de la peinture en bas à gauche.

Il a aussi peint une oeuvre en neuf cadres dans lesquels la toile est divisée en deux. La partie supérieure est réservée à la description des cieux; la partie inférieure, à celle d'étendues d'eau ou de plaines enneigées. Cela donne des toiles bichromatiques douces et évocatrices comme le souhaite l'artiste. Son désir est en effet que sa peinture soit comme un écran dans lequel le visiteur choisit en quelque sorte son programme visuel. Et le choix est, ma foi, plaisant.

Minimaliste et possible

Le premier des neuf tableaux est peint en haut avec la peinture «Fog» - un ton de blanc - et en bas avec le bleu clair «Lake Winnipeg». Cela donne... un paysage brumeux au-dessus d'un lac. Minimaliste et possible. La combinaison «Ciel de Kamouraska» et «Champ de neige» fait inévitablement penser au fond d'une toile de Jean Paul Lemieux. Et ainsi de suite avec les autres teintes, telles que «Twilight», «Georgian Bay», «Baie de Fundy» ou «Bas-du-Fleuve».

Martin Bourdeau a également utilisé trois noms de couleurs - le rose Stella, le bleu Palermo et le vert Kelly - pour aller plus loin et les décliner en se référant aux peintres Frank Stella, Blinky Palermo et Ellsworth Kelly, apparentés au courant minimaliste des années 60-70. Ce concept d'association est d'autant plus brillant que l'artiste a repris les formes irrégulières des toiles qu'utilisaient ces peintres pour les associer avec les couleurs rose, bleu et vert.

Dans son propre minimalisme se mêlent le plaisir de Bourdeau d'éviter la description, une sorte de «sourire en coin» - comme il dit - et la nécessité de laisser la peinture «parler d'elle-même, se définir elle-même», comme quand on devait deviner les paysages qu'il peignait derrière ses moustiquaires.

«J'aime poser la question «Qu'est-ce que la peinture?», dit-il. Ça peut passer par une figuration ou par le fait de revisiter l'art minimal; je ne me mets pas de contraintes par rapport à ce que j'ai créé avant. J'ai des flashs et je regarde comment mettre l'idée en peinture.»

Ses prochaines oeuvres pourraient être présentées à Toronto d'ici la fin de l'année. Elles exprimeront un autre angle, avec un retour à la figuration associé à ce qui l'a inspiré dans ces oeuvres monochromes de 2002-2007. D'ici là, on peut aussi aller apprécier son travail à Québec, où il participe à l'exposition Les matins infidèles-L'art du protocole au Musée national des beaux-arts du Québec.

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À la galerie Division (2020, rue William) jusqu'au 8 mars.