Le peintre montréalais Fernand Leduc est mort dans la nuit du 27 janvier à l'âge de 97 ans. Figure marquante de la peinture, le signataire du manifeste Refus global laisse en héritage une oeuvre immense marquée par un grand souci de l'éthique, un amour infini de la peinture, une recherche artistique constante et une quête passionnée de la lumière. Comme l'avait constaté La Presse lors d'une rencontre chez lui, l'an dernier.

«Fernand Leduc, c'était la quête de la lumière, dit l'historien d'art John R. Porter. Il ne considérait jamais être arrivé. Il était toujours à la recherche de quelque chose de plus grand. Il avait une curiosité insatiable.»

Le peintre signataire du manifeste Refus global en 1948, aux côtés de son «jalon lumineux» Paul-Émile Borduas, était hospitalisé depuis deux semaines à l'Hôtel-Dieu de Montréal à la suite d'une chute. «On a découvert par la suite qu'il avait un cancer, a précisé à La Presse son gendre, le critique d'art René Viau. Au début, il était conscient et très lucide, mais s'est affaibli au fur et à mesure. Il est mort dans son sommeil.»

La Presse avait eu le bonheur de rencontrer Fernand Leduc à deux reprises au printemps 2013. Il s'était prêté avec plaisir et humour au rituel de l'entrevue. Homme brillant et toujours épris de justice et de liberté (il avait pris parti en faveur des «étudiants aux carrés rouges» en 2012), il aimait encore sans limites la peinture, son deuxième amour après sa complice de toujours, la poète et essayiste Thérèse Renaud, disparue en 2005.

Malgré des problèmes de vue, il avait repris ses pastels l'an dernier, inspiré par les rayons qui entraient par les fenêtres de son appartement, à l'ombre des arbres du parc Jeanne-Mance.

Élevé par les frères maristes, le peintre aura été au centre de l'aventure picturale de la seconde moitié du XXe siècle. Influencé par les surréalistes, assoiffé de connaissances, Fernand Leduc s'associe dans les années 40 au groupe des Automatistes. Dans les années 50, il donne plus d'importance aux figures géométriques, aux verticales, aux horizontales. C'est la rupture idéologique avec Paul-Émile Borduas, qui n'aime guère la voie plasticienne. Puis dans les années 70, autre tournant: un Fernand Leduc apaisé se concentre sur les couleurs et la lumière. Ses tableaux, notamment ses célèbres Microchromies, deviennent lumineux et comme animés de l'intérieur. Tout le reste de sa vie, il travaillera à capter l'énergie du soleil.

Ex-directeur du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), John R. Porter l'a rencontré pour la première fois en 1997 lors d'une exposition de ses Microchromies sur les plaines d'Abraham. «L'authenticité du personnage et sa simplicité m'avaient beaucoup frappé, dit-il. Il n'y avait rien de flagorneur ni de vantard chez lui. Il était plus grand que nature, mais avait une qualité d'écoute extraordinaire. Et il a toujours eu une grande jeunesse. Quand on regarde ses tableaux, rien n'a vieilli.»

À l'occasion du redéploiement de ses collections, le MNBAQ devait accueillir Fernand Leduc le 19 février. Le musée lui consacrera en effet une de ses salles. Jean Paul Lemieux, Jean-Paul Riopelle et Alfred Pellan ont aussi droit à cet honneur.

«Fernand Leduc aura eu le bonheur de savoir de son vivant qu'il recevait cet ultime hommage, a dit hier Paul Bourassa, directeur des collections et de la recherche au MNBAQ. En compagnie du scénographe Jean Hazel, j'ai eu l'occasion de pouvoir présenter à M. Leduc, l'automne dernier, la sélection des oeuvres que le musée désirait mettre en valeur dans une de ses salles au moyen d'une mise en espace audacieuse, mais respectueuse du caractère méditatif de son travail. D'entendre cet artiste dire qu'il était ravi et que nous avions bien compris son travail constitue un rare privilège.»

Le MNBAQ possède plus d'une centaine d'oeuvres de Fernand Leduc, soit la plus importante collection au Canada. «Avec cette salle consacrée à Fernand Leduc, on constatera que si Fernand Leduc a beaucoup cherché, il a aussi beaucoup trouvé.»

Les réactions

Françoise Riopelle, cosignataire de Refus global : «On était bien amis quand nous étions en Europe avec Jean-Paul. On se fréquentait beaucoup avec Thérèse. Son travail lui ressemblait. Il était sévère sans vouloir l'être. Il ne se dispersait pas. Il était toujours très entier et sincère. Il ne faisait pas de compromis.»

Line Ouellet, directrice du MNBAQ : «C'est avec émotion que j'ai appris par Isabelle, sa fille, le décès de Fernand Leduc, non seulement un artiste phare de l'art moderne au Québec, mais aussi un homme remarquable, un grand sage qui a été guidé toute sa vie par sa nécessité intérieure. Il nous laisse une oeuvre peinte qui n'a cessé de se renouveler et de multiples réflexions, filmées ou écrites, qui témoignent de la profondeur de la pensée de cet artiste majeur.»

René Viau, critique d'art et gendre de Fernand Leduc : «Il avait vécu le gris, le jaune, la couleur. Une belle vie bien remplie. Une longue vie. Et là, nous nous groupons dans une chaîne de pensées autour de lui, autour de sa peinture et de son art, de sa conception de la lumière qui est genèse et naissance, promesse d'une pluralité de manières d'être au monde...»

Anne Grace, conservatrice de l'art moderne au Musée des beaux-arts de Montréal : «Outre Refus global, célèbre manifeste qu'il signa en 1948 en compagnie de 15 autres Québécois et Québécoises engagés, il nous laisse une oeuvre d'une qualité exceptionnelle dont le musée possède nombre d'exemplaires. Fernand Leduc s'est distingué par son éloquence à la fois de ses écrits - très tôt il s'est établi comme le penseur et théoricien des Automatistes - et de ses peintures. Il n'a jamais cessé de se renouveler. Un peintre d'une grande subtilité, un coloriste exceptionnel et d'une rigueur qui l'a accompagnée pendant toute sa carrière, il laisse un legs important pour l'histoire de l'art au Canada.»

Isabelle Leduc, artiste et fille de Fernand Leduc : «Je vais toujours me rappeler son amour. Depuis quelque temps, je le voyais tous les jours. On a beaucoup parlé ensemble. Il y avait une connivence. On était très près l'un de l'autre. J'avais une très grande admiration pour son travail depuis toujours et il aimait beaucoup mon travail aussi. Il m'encourageait beaucoup.»

Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Montréal : «Une voix forte de la peinture abstraite s'est tue aujourd'hui. Fernand Leduc frappait par son éloquence par sa plume comme par son pinceau. Au Musée, les jeunes s'étonnent aujourd'hui devant ses toiles saisissantes: «Quelle force! Quelle nouveauté!» Et pourtant c'était le temps du Refus Global... Toujours d'actualité.»

Photo: archives La Presse

La vie du peintre en 10 dates

1916 : Naissance à Montréal.

1938 : Entrée à l'École des beaux-arts de Montréal.

1941 : Il fait la connaissance de Paul-Émile Borduas.

1946 : Première exposition des Automatistes à Montréal.

1947 : Fernand Leduc et Thérèse Renaud s'installent à Paris pour six ans.

1948 : Il signe le manifeste Refus global avec 15 autres artistes.

1956 : Avec Riopelle, Gauvreau, Mousseau et Sullivan, il fonde l'Association des artistes non-figuratifs du Québec.

1970 : Début de sa quête de la lumière.

1988 : Il reçoit le prix Paul-Émile Borduas.

2006 : Exposition Libérer la lumière à Québec.