Il touchait par la douceur de ses couleurs, étonnait par ses cadrages décalés: le très discret photographe américain Saul Leiter est décédé mardi à New York à l'âge de 89 ans.

«Saul Leiter était malade», a précisé jeudi à l'AFP Roger Szmulewicz, ami proche du photographe, et directeur de la galerie 51 à Anvers (Belgique).

Très atypique, «bougon, un peu dans son monde», Saul Leiter «a connu le succès sur le tard», déclare à l'AFP Agnès Sire, la directrice de la Fondation Henri Cartier-Bresson (HCB) à Paris, qui avait consacré une exposition au photographe en 2008.

«Lorsque j'étais allée le voir dans son appartement de Manhattan pour préparer l'exposition, des boîtes emplies de ses photos servaient à caler les pieds de la table», se souvient-elle.

«Je n'ai jamais été guidé par l'ambition», avait expliqué Saul Leiter, présent à Paris pour le vernissage de son exposition. «J'ai passé une grande partie de ma vie à être ignoré. J'ai toujours été heureux ainsi», avait ajouté le photographe, chapeau mou enfoncé sur la tête et cache-col rouge.

Saul Leiter a promené pendant des décennies son regard très personnel sur New York. «Un regard totalement intérieur», selon Mme Sire.

Né à Pittsburg en 1923, Saul Leiter est le fils d'un rabbin qui voulait que ses trois fils suivent sa trace. Deux lui obéissent. Pas Saul, qui préfère la peinture et part pour New York en 1946. Il se lie d'amitié avec le peintre expressionniste abstrait Richard Pousette-Dart, qui l'encourage à faire de la photographie.



«Habitué à la désapprobation»


«Mon père désapprouvait mon travail, la vie que j'avais choisie», avait coutume de dire l'artiste. «C'est sans doute pour cela que je fais profil bas. J'ai été habitué à la désapprobation».

Sa mère le soutient. Et lui offre, à sa demande, son premier appareil photo. Il a douze ans. En 1947, après avoir visité l'exposition Henri Cartier-Bresson au Museum of Modern Art de New York (MoMA), Saul Leiter décide de devenir photographe.

Il s'achète un Leica et commence à photographier les rues de New York en noir et blanc. Un monde flottant, un peu embué, où l'on ne voit pas le ciel, ni l'architecture de la ville. Saul Leiter capte un détail, des reflets dans la vitre d'un bar, des hommes en chapeau, des vieilles dames avec canne, des personnages de dos, d'autres qui se recroquevillent. Derrière ces clichés, pas de message social, ni politique. Mais une émotion ressentie par l'artiste.

Dès 1948, Saul Leiter découvre la photographie couleur. Cela lui plaît, même si cela n'est pas encore à la mode. «Certains disent que la photo couleur, c'est superficiel. Je ne suis pas d'accord», souligne-t-il.

«Sa couleur touche le coeur des gens. Elle est pleine de douceur et de volupté», souligne Mme Sire. «C'est un peintre au départ», rappelle-t-elle.

En 1953, Steichen, conservateur en chef de la photographie au MoMA, sélectionne plusieurs de ses clichés noir et blanc pour l'exposition Always the Young Stranger.

Mais ce n'est pas ce style de photographie qui le fera vivre. Saul Leiter devient photographe de mode au début des années 50 et le restera jusque dans les années 80. Il est publié notamment dans Esquire et Harper's Bazaar.

Son travail de rue, plus personnel, n'est redécouvert qu'à la fin des années 90 aux États-Unis. Il est vrai que Saul Leiter a l'art de «rater les opportunités», comme il le dit lui-même. «En 1974, j'ai été invité à exposer à Paris. Mais je n'ai pas ouvert la lettre. Je ne l'ai décachetée que récemment», confiait-t-il en riant en 2008.

À New York, Saul Leiter est représenté par le galeriste Howard Greenberg.