«Je suis heureux de présenter une exposition à la Grande Bibliothèque parce que beaucoup de monde passe par ici...»

René Derouin est un homme de rencontres et on peut supposer que jamais, du moins dans son Québec natal, autant de personnes ne se seront portées à la rencontre de son oeuvre que pendant son exposition Fleuve, qui vient de s'ouvrir à la Grande Bibliothèque. Une expo qui constitue «le haut fait de cette année de création que nous consacrons aux arts visuels», a souligné au vernissage de lundi Guy Berthiaume, PDG de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

La plus grande institution culturelle du Québec est dépositaire de 25 000 estampes de quelque 1500 artistes, dont 500 de René Derouin, qui cédera par ailleurs la totalité de ses archives personnelles à BAnQ à la fin de l'expo.

«Son» exposition, oui, dont il est aussi le commissaire, chose rare... quand on ne s'appelle pas René Derouin. Quelle est la principale difficulté de ce cumul? L'oeil rieur, le graveur-sculpteur de Val-David nous répond qu'il s'agit de «trouver une bonne directrice de projet»... à l'instant même où s'avance vers lui Manon Pouliot, efficace gestionnaire du projet Fleuve, qui réunit une centaine d'oeuvres d'une vingtaine de sources, publiques et privées.

Inspirante Amérique

Fleuve... Le titre ne pouvait être mieux choisi. René Derouin a grandi à la Longue-Pointe, sur le bord du Saint-Laurent qui lui a pris son frère et son père. Mais qui lui a aussi donné le goût de quitter ces rives «où l'art n'existait pas» pour aller poursuivre sa quête d'identité au Mexique, où il disait: «Je suis du Nord.»

«Dans son oeuvre magistrale et inclassable, René Derouin présente une Amérique vécue et fouillée», a déclaré le ministre de la Culture Maka Kotto en soulignant le talent, la générosité et l'humilité d'un artiste dont la carrière s'échelonne déjà sur six décennies.

«Nord-Sud» est le premier des cinq «territoires» de l'exposition où le visiteur se laissera interpeller par les bois monochromes - on dirait souvent du métal -, les estampes numériques, les papiers collés et troués souvent immenses des suites Nordique, Between, Équinoxe et Chapelle/Capilla.

Dans une vitrine, on peut aussi admirer 60 statuettes de l'installation monumentale Migrations que René Derouin a montée à Mexico en 1992 avec vingt mille de ces figurines - toutes différentes! - illustrant les migrations humaines motivées par la faim, la peur, la guerre.

Esprit libre aimant les mots autant que les formes, il rappellera que du temps de la colonie - où son ancêtre est arrivé en 1635 -, «courir la derouine» voulait dire visiter, aller s'entretenir avec les Amérindiens... «et les Amérindiennes!». D'où derouiner, derouineur, pour désigner un coureur des bois. René Derouin court les bois à sa façon, les transforme en onde, en vague, en eau dans ce Fleuve qui, comme tous les autres, coule vers la mer universelle où se rencontrent l'homme du Nord et l'homme du Sud, l'homme de l'Est et l'homme de l'Ouest et, rencontre ultime par-delà vents et courants, l'Homme avec lui-même.

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À la Grande Bibliothèque jusqu'au 23 mars 2014. À lire: Graphies d'atelier - Le trait continude René Derouin, qui vient de paraître chez Fides.