La progression de l'art du graffiti qui l'a mené dans les galeries et les musées a conduit RESO - Patrick Jungfleisch, vétéran allemand du graffiti - à réfléchir sur les liens entre graffiti et abstraction.

La galerie Yves Laroche a donc demandé à RESO et au commissaire de la galerie et expert en graffiti Louis-Nicholas Coupal de sélectionner une vingtaine d'artistes internationaux dont le travail peut parfois se situer à la confluence du graffiti et de l'abstraction. Il en ressort une exposition fort instructive et surprenante de qualité. L'influence de l'abstraction chez les graffiteurs peut se mesurer de 0 à 100, dit Louis-Nicholas Coupal. Ainsi, on se trouve dans le classique de la signature graffitique avec l'aquarelle SPone de l'Américain Greg Lamarche et la sérigraphie Sans titre (Rose encadrée) de son compatriote KEMS. Mais avec le Danois Morten Andersen (qui a abandonné le graffiti en 2003) et sa toile Averse, on est complètement plongé dans une peinture complexe où l'abstraction croise le dynamisme et la fougue habituels du graffiteur. Cela donne ce que d'aucuns ont appelé de l'«expressionnisme géométrique», un attribut qui colle aussi parfaitement au style d'Infinite Red de l'Espagnol Dems333, sans doute l'oeuvre la plus abstraite de l'exposition avec ses volumes rectangulaires et triangulaires, noirs et bleus, superposant des plages de rouge et de blanc.

Dans le même style géométrique, RESO a proposé une de ses toiles, New York, aux doux tons de lavande qui contrastent avec les couleurs vives des autres artistes.

Avec le Californien El Mac et Organic, sa grande toile de jute aux tons de vert d'eau créée à l'aérosol, on est aux frontières entre le microcellulaire et l'abstrait, dans un travail de grande précision où l'on reconnaît sa fascination pour les atmosphères mystiques et le style des maîtres anciens.

La distance ou la réserve par rapport au pur style graffiti est moins grande avec le Montréalais Zek One dans son oeuvre Ze Line réalisée à l'aérosol et à l'acrylique. Mais là où l'exposition surprend, c'est quand elle aborde le tridimensionnel. Il faut voir l'oeuvre Propriété privée du Montréalais Stare: un morceau de mur de briques sur lequel il a peint, collé et sculpté. Beau travail... sans déprédation.

Belle approche aussi que celle du Torontois Kwest avec son oeuvre déchiquetée Plasma K en acier laminé, un travail de découpe original, graffiti sculpté et fixé au mur comme une calligraphie spatiale. On retrouve ce travail sculptural dans deux autres oeuvres de Kwest, avec un même découpage, mais cette fois-ci dans du bois et encadré. Les deux oeuvres, B Shadow et K Shadow (celle-ci créée avec son copain de la Ville Reine BACON), sont spectaculaires. Les formes sont équilibrées tout en surgissant avec impétuosité hors de leur cadre.

Une exposition fort intéressante qui illustre combien les graffiteurs de talent peuvent occuper une place à part entière dans l'art contemporain... quand ils délaissent les murs et le mobilier urbains pour intégrer avec éclat et maturité le carré blanc des galeries.

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De la ligne à l'abstraction. À la Galerie Yves Laroche, jusqu'au 11 octobre.

Photo: fournie par la Galerie Yves Laroche